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L’impact de la COVID-19 sur la diaspora et, conséquemment, sur ses rapports avec Haïti

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Un nouveau venu s’est invité dans nos actualités. Il s’impose dans nos échanges et défraie la chronique un peu partout. Il fait peur même aux matamores qui n’arrivent plus à cacher leur désarroi. Il force tout le monde à revoir ses priorités et les plans qu’on avait minutieusement élaborés, à court et à moyen termes. Il s’appelle COVID-19. C’est une pandémie qui touche 193 pays et territoires à travers les cinq continents. Au moment de terminer cet article, le décompte global de ses victimes se lit comme suit: plus de 170 000 morts (décompte exact au 21 avril, mis à jour à 7h58 a. m, selon le journal La Presse de Montréal: 170 638 morts) et près de 2,5 millions de personnes infectées (décompte exact: 2 483 840 infectées, selon l’Agence France-Presse). En Haïti, on se préparerait, paraît-il, à l’arrivée de ce sinistre personnage. Le gouvernement dit prendre des mesures et fait des annonces. Certaines sont contredites par d’autres dignitaires de ce même gouvernement. Par exemple, le Président annonce la distribution prochaine de 10 millions de masques à la population. Toutefois, le Premier Ministre, sans oser le démentir directement, dit n’en disposer que de 300 000 environ. Méchant écart, s’il en est. Mais tout cela comptera pour peu, effectivement. Dans l’équation financière du pays, un des éléments importants est, sans conteste, la contribution de la diaspora. En ces temps marqués par la COVID-19, le niveau de cette contribution, non budgétée, mais sur laquelle le pays compte beaucoup, reste une grande inconnue. Pour le moment, nos experts se fendent en conjectures pour prévoir l’impact de la COVID-19 sur cette variable.

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Il est un fait notoire que cette manne annuelle provient majoritairement des États-Unis d’Amérique mais aussi du Canada et du Chili où vit une concentration importante de la diaspora haïtienne, disposant d’un revenu suffisant pour alimenter significativement l’enveloppe des transferts vers Haïti. Entre octobre 2018 et février 2019, donc environ cinq mois, selon un article publié par Dieudonné Joachim dans les colonnes de Le Nouvelliste, dans sa parution datée du 6 mars 2019, Haïti a reçu des transferts au montant de 1 485 174 525 dollars américains. Extrapolé sur une période de douze mois, cela représenterait un montant de 3 564 418 860 dollars. Pour faire un chiffre rond, disons environ 3,5 milliards de dollars. Cet apport régulier est comme un sérum intraveineux, injecté dans l’économie du pays, pour le maintenir en vie, en dépit de tous les soubresauts négatifs et périlleux de la vie politique tourmentée des dernières années. Or, cet apport également pourrait être remis en question par la COVID-19. Ce fléau touche de plein fouet la diaspora haïtienne partout où elle a fait son nid. Aux États-Unis, comme au Canada, les temps sont durs. Les frontières se ferment partout. Nos compatriotes sont confinés chez eux, pour vrai, par les autorités locales, lorsque ce n’est pas la peur de la COVID-19 qui les y contraint effectivement. Ce n’est pas comme chez nous où les «rara» dansent dans les rues, en dépit des interdictions de nos autorités. Les commerces et les entreprises non essentiels sont effectivement fermées, par décisions d’États qui, en retour, fournissent une aide financière ponctuelle mais réelle, pour compenser pour les revenus d’emplois qui ne seront pas aux rendez-vous hebdomadaires habituels. Pendant combien de temps encore cela durera-t-il? Personne ne le sait vraiment. On y va à tâtons, par essai-erreur-correction. C’est un «work in progress» qui débouchera un jour sur quelque chose de positif mais dont on ne connaît pas encore exactement le profil.

De plus, les rumeurs non confirmées officiellement font état de pertes importantes dans les rangs de la diaspora, notamment à New-York et au New-Jersey. On a beau dire que le virus frappe indiscriminément, ce sont encore les moins bien lotis qui trinquent, et plus que de mesure. Et parlant de moins bien lotis, la diaspora haïtienne est passablement bien représentée dans cette catégorie, dans la plupart de ses pays d’adoption. Bien sûr, une certaine élite parvient à fracasser le plafond de verre et à se frayer un chemin, à force de persévérance et à grands coups de détermination et d’excellence, jusqu’aux plus hauts échelons de leur société d’accueil. Mais, cette élite ne représente qu’une faible minorité de l’ensemble de cette diaspora dont le profil général est nettement différent. Elle est majoritairement constituée de gagne-petit qui triment à la tâche, dans des emplois souvent moins bien rémunérés et dans des conditions de travail difficiles. La pandémie de COVID-19 aura certainement un impact sur la pactole transférée régulièrement au pays. Pour commencer, le président Trump, pour donner le change, vient de déclarer, qu’en raison des ravages de la COVID-19, il ferme l’immigration afin de réserver le marché des emplois pour les citoyens de son pays (America first). Dans les faits, ce l’était déjà. Presque plus personne ne voyage, encore moins des immigrants. Mais, ce faisant, le Président Trump enfonce littéralement une porte ouverte. Cela lui permet de diriger l’attention sur un autre dossier. Bientôt, il ne fera pas bon d’être perçu comme un «alien», dans de nombreux secteurs où sévissent des «trumpistes» impénitents et chauvins, pour utiliser des termes polis.

Tout cela nous amène à la conclusion que le passage de la COVID-19 aura un impact indéniable sur la somme des transferts vers Haïti, pour l’exercice 2019-2020, en provenance de la diaspora, du moins de celle qui se trouve au Canada, en France et aux États-Unis. Le troisième pays d’importance pour cette enveloppe, le Chili, tout comme l’ensemble des pays de l’Amérique du Sud, entame, lui aussi son calvaire. Parions que les derniers immigrants de cette terre d’accueil, nos compatriotes, n’en seront pas épargnés. Tout comme Simon de Cyrène, ils porteront leur large part de ce fardeau et paieront leur tribut à la Faucheuse. Peut-être même qu’ils écoperont lorsqu’il faudra trouver un bouc émissaire pour cette catastrophe sanitaire qui s’abattra sur ce pays aussi. Il leur sera alors difficile de contribuer, en même temps et au même niveau, aux transferts de la diaspora vers la Mère Patrie.

Cette décroissance de la contribution de la diaspora sur laquelle nous avons appris à compter, sans contrepartie, sans même une reconnaissance, nous imposera probablement un effort d’introspection nationale. En fait, qu’avons-nous fait, en tant que société, pour mériter une telle dévotion patriotique? De leur naissance, jusqu’à leur départ, plus ou moins forcé par les circonstances, vers d’autres cieux, notre pays n’a offert à ces expatriés qu’une citoyenneté à rabais. Leur santé, pour la plupart d’entre eux, s’ils en jouissent encore, ils ne la doivent qu’à leur jeunesse ou à une heureuse fortune concédée par la nature ou à une génétique éprouvée et adaptée au cours des siècles par leurs ancêtres. Rien, ou si peu, n’a été fait par le pays ou nos élites pour leur permettre de l’améliorer. Notre système de santé (et système ici est un gros euphémisme) est peut-être le pire de toute la région. Le Dr Malebranche le disait récemment, lors d’une rencontre, le mardi 14 avril, organisée par la Conférence des Recteurs, Présidents, dirigeants d’Universités et d’institutions d’enseignement supérieur Haïtiennes (CORPUHA) : «le système sanitaire haïtien regorge de problèmes : en matière de déficit de gouvernance à tous les niveaux, de délabrement des infrastructures médicales, de ressources humaines et de ressources financières». Il aurait pu mentionner un déficit de vision et de politique générale tout court, non seulement en matière de santé mais encore dans tous les domaines. C’est cet environnement délétère et morbide que notre diaspora a quitté, la mort dans l’âme, et auquel elle est restée viscéralement attachée, malgré tout. Cela aussi pourrait être revu, à la lumière des circonstances et sous la pression des besoins urgents à satisfaire sur place, après le passage de la COVID-19.

Les plans de nos autorités actuelles qui semblent vouloir revenir à l’époque révolue du macoutisme triomphant et de l’unilatéralisme de l’Exécutif, pourraient décevoir définitivement celles et ceux qui tiennent encore à revenir au pays, à l’occasion, et à cultiver le rêve de venir y finir leurs vieux jours, dans des conditions de développement économique et social ainsi que de fonctionnement politique, similaires à celles qu’ils ont connu ailleurs, sous d’autres cieux un peu plus évolués. Nos autorités, à force de roublardise primaire et de myopie politique, pourraient bien finir par tuer cette poule aux œufs d’or, cette vache-à-lait baptisée diaspora. L’histoire récente des diverses communautés expatriées est riche en cohortes parties pour ne plus revenir au pays de leur naissance. Elles en conserveraient juste assez de traces culturelles, réminiscentes de leur origine, surtout lorsqu’elles peuvent s’enorgueillir. Autrement, elles passent à autre chose. Elles tournent la page.

Le monde, après le passage de la COVID-19, en restera marqué et passablement modifié. Les communautés vulnérables en sortiront probablement meurtries et apprendront à vivre avec de nouveaux paradigmes. Ceci pourrait s’appliquer à leur attachement à leur pays natal, assez pour affecter sensiblement l’habitude de transférer des fonds régulièrement à d’autres membres de la parenté, restés au pays. Après la COVID-19, la terre ne s’arrêtera pas de tourner autour du soleil, mais bien des habitudes, que nous prenons pour acquises, pourraient être radicalement modifiées, surtout si nos autorités locales ne font aucun effort pour en cultiver celles qui, pourtant, leur apportent tant de bénéfices.

Pierre-Michel Augustin

le 21 avril 2020

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