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Perspective : Les leçons de l’Histoire que nous n’avons pas apprises

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Les bégayements de l’Histoire sont parfois très évidents. On a un peu l’impression de revisiter un chemin déjà parcouru, quelquefois, il y a bien des années, par d’autres avant nous. C’est curieux, mais c’est comme ça. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que très rarement nous en retenons des leçons. Maintes fois, nous semblons retomber dans le même panneau, comme si la roue de l’Histoire était trop bien installée dans un sillon, déjà profondément tracé, au préalable. Ce n’est pas que je prête foi à un quelconque fatalisme, c’est juste un constat que j’arrive difficilement à m’expliquer.

Prenons, par exemple, la Première Guerre Mondiale de 1914-1918. Ce ne fut pas vraiment la première fois que les peuples de plusieurs pays se soient entendus pour s’entretuer mutuellement, à grande échelle. Toutefois, puisqu’il faut bien commencer quelque part, disons qu’au 20e siècle, ce fut la première d’une série de conflagrations de grande et de moyenne envergures impliquant plusieurs peuples à la fois. Elle fut très sanglante, en effet. Cela a commencé par l’assassinat du couple princier, héritier du trône austro-hongrois, par un jeune nationaliste Serbe. Déjà, cette phrase est bourrée d’anachronismes, vous me direz. Un couple «héritier du trône austro-hongrois». Lorsque j’en parle à mes petits-fils, ils ont l’impression que je leur raconte un peu, le genre d’histoire qu’ils voient à la télé, dans la série du «Seigneur des Anneaux», tellement cela paraît irréel. Pourtant, des peuples de l’Europe, présumés sains d’esprit, en ont décousu pendant quatre longues années. Durant ce conflit, environ 60 millions de personnes ont pris les armes et ont contribué fièrement à la boucherie, à cause de l’assassinat de deux personnes, tout héritiers d’un trône qu’ils furent. La vengeance de leur Altesse princière, méritait-elle que le monde consacrât «un Himalaya de cadavres», pour répéter la macabre menace prononcée par le dictateur François Duvalier ? Environ 20 millions de personnes sont restées sur le carreau, parmi lesquelles, quelque 9 millions de civils, des dommages collatéraux, dirions-nous, aujourd’hui. Haïti, aussi, avait payé son droit d’assister et de participer au spectacle. Quelques-uns de nos braves citoyens se sont portés volontaires, pour aller contribuer au carnage, et plusieurs y ont laissé leur vie ou leur santé. Rares sont ceux qui en sont sortis complètement indemnes. Cette guerre allait aussi créer les conditions idéales pour l’éclosion d’une pandémie, baptisée de « Grippe Espagnole », qui rajouta une autre couche de victimes collatérales, à la grandeur du monde. Peu importait que vous soyez ou non parties prenantes de ce conflit inter-européen. Les peuples du monde entier furent tous, plus ou moins, touchés sévèrement par cette pandémie. Et Haïti aussi a payé son tribut.

Nos annales rapportent que plus de 3 000 personnes décédèrent, seulement dans la région des Cayes, entre octobre et novembre 1918, de cette prétendue Grippe Espagnole. Il n’y avait non plus aucun traitement efficace, à l’époque, contre cette maladie. On s’en remettait aux sangsues, paraît-il, et à notre pharmacopée locale, sans plus. Le président à l’époque, S.E.M Sudre Dartiguenave, fit un peu comme on fait aujourd’hui. Il improvisa et copia, mot pour mot, comme il le put, les propos des seigneurs de l’époque, nos occupants yankee. Il s’était même permis de dissoudre le Parlement qui lui faisait trop d’ombrage à son goût. De sorte qu’il eut plein pouvoir, pour ne rien faire de constructif vraiment, pour endiguer l’épidémie qui a ravagé la population. D’aucuns citent le nombre de plus de 10 000 morts pour Haïti, mais le nombre exact, seuls nos occupants le savent effectivement, car ils documentaient scrupuleusement tout ce qui se passait dans le pays et dans les Caraïbes, en général.

Mais ce ne fut pas la dernière catastrophe du siècle passé. En dépit des souvenirs douloureux de la 1e guerre mondiale, les maîtres du monde en ont fait une 2e, encore plus sanglante et plus coûteuse en vies humaines, qui allait durer du 1er septembre 1939 au 2 septembre 1945. De l’Amérique à l’Asie, le monde s’était embrasé. Et beaucoup de peuples, qui n’en avaient pourtant rien à cirer, ont sauté à pieds joints dans ce jeu de massacre. Ce fut le cas de ces fameux «Tirailleurs Sénégalais» et autres guerriers d’origine africaine, comme nous autres aussi, de la lointaine Haïti. Même que nous déclarâmes solennellement la guerre à l’Allemagne et aux puissances de l’Axe et à l’Empire Nippon, par la voix de notre président ventriloque de l’époque, S.E.M. Antoine Louis Léocardie Élie Lescot. Imaginez cela. Et notre servilité diplomatique de ces époques et d’aujourd’hui nous a donné quoi au juste? Que dalle, des miettes, jetées de temps en temps, par-ci par-là et beaucoup d’opprobre à avaler goulûment, comme une purge à l’huile de ricin ou au Purgatif St-Yves.

Je vous ressasse tout ceci, pour mettre en perspective, les similarités qui me sautent aux yeux. On ne s’en rend pas vraiment compte, mais, sur le plan international, le monde est en guerre. Depuis le début de ce siècle, nous avons assisté à la guerre d’Afghanistan, à la 2e guerre d’Iraq, à la guerre de Lybie et à la guerre de Syrie. Ces théâtres d’opérations militaires ont causé bien des morts et d’éclopés, beaucoup de souffrance et d’exodes massifs de population. Tout cela est encore bien moindre que les exploits funestes de l’humanité, au début du siècle précédent. C’est qu’aujourd’hui l’homme peut aisément détruire la planète et scier allègrement la branche de l’arbre sur laquelle il repose. Alors, on pousse un peu le bouchon tranquillement, en faisant bien attention de ne pas aller trop loin, trop vite. Mais on ne renonce pas au massacre des autres, pour autant.

Aujourd’hui, sur le plan local, comme en 1918, le leadership politique haïtien est plus que faible. Le gouvernement en place est décrié et les tenants du pouvoir sont généralement accusés de corruption. Comme en 1918, nous avons un gouvernement de facto, non sanctionné par un Parlement qui en fait le contrepoids législatif et qui lui accorde une légitimité constitutionnelle, une reconnaissance légale auprès de ses pairs du monde entier et des agences internationales, avec lesquelles il est appelé à transiger. Comme en 1918, son principal appui local et étranger est la République Étoilée qui dicte sa démarche locale et sa politique étrangère. La ventriloquie politique et diplomatique de nos dirigeants est encore de rigueur. En attestent leurs revirements à l’égard du Venezuela et leur distance diplomatique contre-productrice par rapport à la République Populaire de Chine, contrairement à la tendance mondiale et régionale.

Dans ce contexte de guerres de moyenne et de basse intensités, on ajoute une autre couche de tension supplémentaire : la guerre économique. Ce faisant, les grandes nations du monde déversent des sommes astronomiques dans leur armement et dans leurs forces militaires mais négligent un peu leurs infrastructures sanitaires. Tout cela, c’est juste pour dissuader l’autre, pas vraiment pour l’attaquer, du moins pas ces ennemis, en mesure, eux aussi, d’utiliser à leur tour le feu atomique qui sonnerait le glas du monde, tel qu’on le connaît aujourd’hui. C’est ainsi que, malgré les bonds vertigineux de la science et de la technologie médicales, le monde entier se retrouve, aujourd’hui encore, mal préparé devant l’arrivée de la nouvelle pandémie de coronavirus. En effet, ce vieil adversaire ne nous est pas tout à fait étranger, si l’on en croit nos experts. Il revêt, de temps à autres, de nouveaux oripeaux, pour tromper la vigilance de notre système immunitaire, et il y réussit à merveille, pendant un certain temps. Les épisodes de SRAS, c’était lui, en pavillon masqué. La fameuse Grippe Espagnole, c’était encore lui, affublé juste un peu différemment. Et avec ses astuces, il détraque toutes nos sociétés et les met à l’envers, le temps d’une éclosion. Alors, toutes nos armes, toutes nos gesticulations militaires, tous nos préparatifs guerriers ne servent plus à rien. Nos industries sont forcées d’arrêter de produire. Nos hôpitaux ne suffisent plus à la demande, nos fossoyeurs non plus. Tout le monde est confiné chez soi dans les grands pays, de peur d’attraper le virus qui emprunte nos pieds, nos voitures, nos trains, nos avions et nos bateaux, pour circuler et atteindre les moindres points du globe, même les plus éloignés.

Haïti aussi sera prise dans cette même tourmente. Comme en 1918, elle ne s’en échappera pas. Et, je le crains fort, elle paiera un tribut à nouveau. Il sera d’autant plus lourd que nous n’avons pas profité du répit que le virus nous avait accordé, pour bâtir nos remparts, pour nous préparer à son prochain assaut. Nos infrastructures médicales et technologiques ne sont pas à la hauteur du défi. Toutes les sommités médicales, locales et des Agences internationales, en conviennent. Pire encore, la situation de salubrité publique s’est considérablement dégradée, entre temps. De sorte que les parades que nous pouvions envisager, en 1918, ne peuvent plus être considérées en 2020. En 1918, nous pouvions encore être autosuffisants et compter sur la production locale, pour subvenir à nos besoins en alimentation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De 2,5 millions en 1918, selon Claude Souffrant, nous sommes aujourd’hui près de 12 millions d’habitants, sur la même superficie : 27 850 kilomètres carrés. De sorte que la distanciation sociale, préconisée également par nos dirigeants, à l’instar des gouvernements étrangers, c’est une vue de l’esprit, techniquement impraticable dans l’aménagement standard de notre habitat, de nos moyens de transport, pour ne citer que ceux-là.

Lorsque surviendra le pic de cette épidémie en Haïti, je ne pense pas que les moyens dont nous disposons actuellement pourront le contrecarrer. La BID promet une aide de 50 millions de dollars au pays, ce qui sera loin d’être suffisant pour se procurer le strict nécessaire afin de tenir le coup durant la pandémie. En considérant que le pays compte quelque 4,2 millions de personnes en situation de précarité dont il faudra s’occuper pendant la période de confinement d’environ un mois, à 2 dollars par jour par personne, on se rend facilement à 270 millions. Le gouvernement devra user d’imagination pour trouver le solde 220 millions de dollars. Mais pour commencer, il a reçu une petite avance de 2,2 millions de dollars et … des seaux de l’UNICEF. Oui, des seaux, des «bokit», à grand renfort de publicité pour cette contribution généreuse de cette Agence. Pour cette occasion, des pontes du Gouvernement ont posé pour une photo pour la postérité.

La COVID-19, tout comme la Grippe Espagnole, viendra, fera son tour et puis passera. Il laissera chez nous des séquelles dont il faudra guérir. Mais on y survivra. Nous avons survécu à tous les affres, tous les malheurs qui nous ont frappés. Le problème, c’est que nous n’en apprenons rien des leçons qui les accompagnent. Nous n’avons pas appris que notre à-plat-ventrisme diplomatique et politique envers les États-Unis ne nous a rien rapporté, à part peut-être leur dédain et leur suprême mépris. Après avoir déclaré la guerre, à notre tour, à leurs puissants ennemis, lorsque vint le moment de séparer le butin de guerre, ce sont leurs ennemis qui ont reçu la part du lion, avec le Plan Marshall des Américains. Nous n’avons rien obtenu d’eux, même que S.E.M. Dumarsais Estimé dut restituer une dette entière aux Américains: 5 millions de dollars, l’on me rapporte. Ils ne nous ont pas fait de cadeau. Le saccage de notre agriculture pour nous faire produire le caoutchouc de l’hévéa qui a appauvri nos terres, sous prétexte de soutenir l’effort de guerre des Américains, nous a enfoncés un peu plus dans la dèche.

Aujourd’hui, après avoir renié notre amitié avec le Venezuela, pour faire plaisir à l’Oncle Sam, lorsque nous quémandons de l’aide pour nous préparer pour le fléau à venir, ils nous promettent quelque 50 millions de dollars, avec, à l’avenant, une obole de 2,2 millions de dollars. Le gouvernement déroule quasiment le tapis rouge pour une cargaison de seaux, offerts par l’UNICEF. Pour ma part, c’est une insulte de trop, une gifle à la face d’un peuple qui ne comprend même pas l’injure qu’on lui fait. Pendant ce temps, Cuba nous envoie un bataillon de médecins et d’infirmières pour nous aider à relever le défi qui nous attend. Elle aussi avait été frappée par la Grippe Espagnole, en même temps que nous. À Camaguey, les Cubains avaient perdu 4 000 habitants, rapporte-t-on, lors de cette pandémie vielle d’un peu plus d’un siècle. Ils ont mis cet entre-temps à profit. Ils ont bâti leur système médical et sont, aujourd’hui, un peu plus en mesure d’y faire face, et même capables de prêter leur concours aux Italiens et à d’autres peuples qui n’ont eu de cesse de jouer à «la cigale qui chantait tout l’été».

Je ne veux pas paraître pessimiste mais, lorsque viendra le pic de la COVID-19, il faudra espérer, qu’à force de compter les horions que nous ont lancés la nature et nos «amis», notre système immunitaire est devenu plus costaud, assez pour tenir tête au nouveau coronavirus. Je ne compte pas sur les fables de nos dirigeants ni sur leur grossière méprise, pour nous en sauver. Mais, on en réchappera, comme toujours. C’est peut-être cela, la fameuse résilience dont on nous abreuve souvent.

Pierre-Michel Augustin

le 31 mars 2020.

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