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Le marathon de l’opposition

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Courir un marathon ne se prépare pas du jour au lendemain. Ceux qui l’ont déjà fait vous diront que cela nécessite une longue et assidue préparation, des stratégies judicieuses à appliquer selon les aléas des circonstances et les compétiteurs présents mais, aussi, la capacité de prendre avantage des opportunités qui surviennent au moment de l’action. C’est une combinaison de plusieurs facteurs, qui va concourir à la réussite du marathonien. Le hasard, tout court, a peu de choses à y voir, même si, souvent, c’est le facteur que l’on met le plus en évidence. Il en est de même en politique. Rien ne doit donc être laissé au hasard dans la lutte politique en Haïti car les enjeux sont de la première importance. En effet, c’est l’avenir à court, à moyen et à long terme du pays qui est mis aux enchères et que l’on tente de définir et de couler dans le béton, pour les cinquante prochaines années, comme le proclamait, il n’y a pas si longtemps, l’ex-Premier Ministre, Jack Guy Lafontant.

De toute évidence, l’opposition ne s’était pas préparée adéquatement avant d’entreprendre de renverser le gouvernement de Jovenel Moïse. C’était comme si elle s’était préparée pour un sprint mais qui est devenu un marathon, par la force des choses et en raison de la résistance inattendue de l’adversaire. Sans se préparer adéquatement, elle a cru pouvoir surfer sur la vague de protestation provoquée par les maladresses d’un gouvernement brouillon et, ma foi, assez incompétent, ou peut-être juste téméraire pour avoir essayé de faire avaler non pas une ou deux pilules amères mais tout le bocal, d’un seul coup, à une population déjà en éveil. Après avoir réussi à imposer son premier budget, taxé de criminel par la population et par bien des observateurs avertis, le gouvernement s’était cru en mesure de ruser avec la population et de lui refiler, en douceur, les augmentations hasardeuses, pour le moins, des prix du carburant. Et ce fut la débâcle à laquelle il ne paraît pas s’être attendu. Nous connaissons l’histoire des évènements des 6 et 7 juillet 2018. Partant de ces émeutes populaires spontanées, l’opposition a voulu alors prendre de vitesse le gouvernement, sans se donner la peine, préalablement, de solidifier sa base, de consolider ses assises populaires, ni d’établir des alliances ou des appuis internationaux, aujourd’hui indispensables pour tout acteur politique sérieux, en Haïti. Bien évidemment, ces mouvements de l’opposition ont affaibli le gouvernement, mais pas au point de le renverser. Ils lui ont mis quelques grains de sable dans le moteur, sans pour autant casser l’élan de ce dernier. Malgré ses ratés, le gouvernement a remobilisé officiellement les Forces Armées d’Haïti, il a constitué un gouvernement dont le Premier Ministre était rendu docile car menotté par le Président, bien qu’il soit réputé issu d’une frange « modérée » de l’opposition. Je veux parler du gouvernement de Me Jean Henry Céant. Et lorsqu’il a été soupçonné de manifester une certaine velléité d’indépendance, il fut rapidement expulsé de la Primature, sans aménité. Il avait même craint pour sa vie, à un moment donné, si l’on se souvient de l’épisode des mercenaires américains, l’an dernier, c’était en février, avant qu’il ne soit remercié brutalement par la Chambre des Députés.

Sans désemparer, sans surtout réviser ses stratégies, l’opposition, après avoir constaté son essoufflement en septembre et en novembre 2018, s’est lancée dans une même opération en février 2019 et en octobre 2019. Tout juste a-t-elle ajouté un nouvel ingrédient: les barricades. Il ne s’agissait plus de manifestations plus ou moins importantes, plus ou moins violentes, elle y a ajouté les barricades qui ont effectivement bloqué en grande partie la circulation dans la zone de la capitale. À un moment, le Président était devenu sans domicile fixe, un itinérant nouveau genre qui se déplaçait en caravane armée, fonçant à toute allure pour éviter les manifestants qui le conspuaient sur son passage et lui lançaient toutes sortes d’affaires, pas seulement des quolibets désobligeants, sans doute bien mérités. Pour certains observateurs, l’avenir, le mandat du Président ne tenait alors plus à grand-chose, sinon aux forces de police et au soutien inébranlable des Américains particulièrement, mais aussi du reste de la Communauté Internationale, un peu intimidée par notre tuteur principal qu’elle ne veut surtout pas se mettre à dos, pour le respect d’un quelconque principe d’orthodoxie démocratique ou de droits humains. Elle repassera. Elle fermera les yeux, les choses se calmeront et tout reprendra son cours. Elle fit exactement cela mais rien n’a été réglé et le mal s’est empiré. Pour nos malheurs mais pas les leurs.

L’opposition avait compté sur un sursaut de vergogne de la part de la Communauté Internationale, juste un peu de bonne conscience, comme elle nous l’a laissé croire avec le pèlerinage d’une délégation de ses leaders à l’étranger, tout particulièrement à Washington, et avec la remise de doléances écrites à des représentants de missions étrangères. Mais, bien évidemment, rien n’y fit. L’Évangile selon les États-Unis demeurant le dialogue entre les acteurs politiques, le reste de la Communauté Internationale et ses coreligionnaires se le sont tenus pour dit, sans rouspéter. Ils ont tous repris la litanie en chœur et en canon. Et puis, Amen! Les démarches de l’opposition, à cet aspect, n’ont pas abouti à grand-chose. C’est à peine si la Communauté Internationale accrédite les différents massacres perpétrés dans les bastions réputés de l’opposition, pourtant dûment documentés par une pléiade d’organismes locaux et d’agences internationales et non des moindres. On joue sur les mots. On apporte des nuances dans le crime. Les massacres de civils ne sont plus des massacres, ils deviennent des… tueries. C’est différent. En d’autres temps, pour moins que cela, on avait indexé Jacques Edouard Alexis, interdit de visa canadien, en raison d’une intervention de la police à Carrefour-Feuille qui avait dégénéré et causé la mort de 11 civils. Ce dossier avait traîné longtemps, malgré les protestations du Premier Ministre d’alors, Jacques Edouard Alexis. Signalons au passage que les policiers responsables de ces meurtres furent traînés devant les tribunaux par le Commissaire du Gouvernement d’alors et condamnés par les juges devant lesquels ils avaient été déférés. Une première sans doute dans l’histoire du pays et dont le gouvernement actuel ne s’est pas inspiré, loin de là. Mais cela n’indispose plus vraiment personne de la Communauté Internationale. C’est comme si ces beaux principes, jadis évoqués par certains de nos gouvernements amis, prompts à les mettre en application, contre vents et marées, étaient devenus brusquement obsolètes, caducs : c’est le mot à la mode.

D’ici peu, nous irons sans doute aux élections. Ne me demandez pas quand ni comment mais je sais que nous irons en élection bientôt. Le Secrétaire d’État américain, dans un bref tête-à-tête avec son homologue haïtien a lâché le mot d’ordre. « Nous avons besoin d’avoir des élections. C’est important. Une fois ces élections tenues, il y aura un gouvernement dûment élu. Nous n’aurons plus à être préoccupés par un gouvernement agissant par décret» (traduction libre de la déclaration en anglais, publiée par le Miami Herald). Remarquez que M. Pompeo est un diplomate rompu aux propos nuancés, en matière diplomatique. La différence c’est qu’il choisit ses termes en fonction de ses interlocuteurs. En présence d’un vassal, point n’est besoin de prendre des gants. Cela va se passer ainsi, car telle est la décision de ceux qui donnent des ordres.

Cela m’amène donc sur la piste de ces élections à venir. Là encore, l’opposition paraît très mal préparée pour une pareille éventualité. Tous les leviers conduisant à la tenue des élections, si importantes aux yeux de nos bailleurs, se retrouvent aujourd’hui sans partage aux mains du Président. Toute la logistique également. Le Président, par décret, pourrait définir les modalités et les règles électorales des prochaines élections. Il pourrait également choisir son CEP, sans partage, par décret. Pour faire bonne mesure, il pourrait exercer un contrôle du personnel administratif local dans les 146 communes du pays, en remplaçant tous les cartels dont il souhaiterait se défaire. Il pourrait également tenter de modifier la Constitution à son avantage. D’ailleurs, il a exprimé ce désir récemment, dans la foulée de son «constat de la caducité du Parlement». Et au terme de ce processus à réaliser à marche forcée, armé de son nouveau registre des citoyennes et des citoyens, réalisé par ses soins personnels avec la compagnie DERMALOG, l’affaire serait alors facilement dans le sac, malgré les protestations de l’opposition et de la très grande majorité de la population. Tout ce qui comptera sera la tenue de ces élections. Et si, par malheur, le mauvais candidat gagnait, la Communauté Internationale n’aura qu’à invalider les résultats, en tout ou en partie, comme ce fut le cas en 2000 et en 2010, jusqu’à ce qu’elle obtienne satisfaction. Mais, si toutefois les élections donnaient gagnant le candidat de son choix, grâce aux manigances diverses, exercées en amont comme en aval, elle sera la première, même avant le CEP, à publier la primeur et à banaliser toute tentative de dénonciation de la part des perdants. Nos perdants ont la réputation d’être des braillards, des mauvais perdants, sauf quand ils logent à l’adresse des favoris de l’Internationale. Alors là, toutes les peccadilles, lors des élections, deviennent des cas pendables, toutes les erreurs mineures deviennent des prétextes pour le rejet global des résultats.

Je ne peux m’empêcher de faire ce coq-à-l’âne en référant aux similitudes entre le cas de Guaido et celui des 9 sénateurs, rendus caducs prématurément, par constat présidentiel. Le Très Honorable Juan Guaido, Président auto-proclamé de la République Bolivarienne de Venezuela, de retour d’une tournée internationale, s’attendait à rentrer paisiblement à son bureau au Parlement, sans doute sous les acclamations de ses partisans, lorsque l’accès lui en fut refusé par les forces constabulaires, mobilisées par le gouvernement du Président élu, S.E.M. Nicolas Maduro. Il lui vint alors l’idée, assez saugrenue, ma foi, d’escalader la clôture du Parlement, comme un vulgaire «dasomann». Mais ce fut en pure perte, des policiers casqués bloquèrent derechef ses tentatives. Cela m’a fait penser à certains de nos sénateurs qui prétendent être insaisissables, comme la fumée, mais qui, au demeurant se sont tout simplement résignés non pas à escalader la clôture du Parlement, mais à y entrer, dissimulés, dit-on, dans le coffre arrière du véhicule d’un autre collègue, ayant encore l’insigne privilège de pénétrer en ces hauts lieux. Dans les deux cas, la différence est que pour l’un il s’agirait plutôt d’une usurpation de titres, comme c’est le cas de ceux qui prétendent être ingénieurs sans avoir gagner le titre au terme d’un parcours académique complété, tandis que pour d’autres, il s’agirait plutôt d’un abus de pouvoir exercé à leurs dépens. Le résultat reste néanmoins pareil : n’entre pas au Parlement qui le veut, même quand il en aurait le droit.

Le parcours du combattant, de l’opposition, n’est pas à la veille d’arriver à son terme. Il paraît clairement que celle-ci n’était pas bien préparée pour le marathon dans lequel elle s’est engagée sans les équipements adéquats et surtout sans la préparation requise. Par préparation, il faut comprendre une vision claire des choses qu’il faut changer et des moyens pour le faire, une stratégie sûre qui permettra d’y parvenir et dont les outils sont effectivement à la portée. J’entends par équipements inadéquats, ces alliances fragiles, faites sur le tas, au cours de la lutte, sans prendre le temps de s’assurer de la compatibilité des points de vue de ceux qui se veulent des partenaires, sur les enjeux importants de la lutte que l’on veut mener ensemble à terme. L’histoire nous a appris que les alliances de circonstance ne tiennent jamais la route bien longtemps. C’était vrai du temps de Papa Dessalines, ce l’est encore davantage aujourd’hui. Ces alliances se défont au gré des opportunités, de la chance qui passe et dont certains se saisissent rapidement, de peur que l’autre ne le fasse avant lui et ne le laisse Gros-Jean comme devant. Les moyens, ce sont aussi les réseaux de contacts et d’appuis locaux et internationaux qui assurent que le message passe et est répercuté dans tous les lieux de pouvoir, les centres de décision, susceptibles de sensibiliser l’adversaire et de l’amener à se ranger à notre point de vue, sans avoir nécessairement à le combattre jusqu’à ces derniers retranchements. Et cela, il faut s’en assurer avant, pas après, car peut-être se trouveront-ils déjà logés dans le giron de l’adversaire.

Nous pouvons nous attendre aux hauts cris et aux protestations de l’opposition, lorsque le gouvernement appellera le peuple à ses comices. Et elle aura bien raison de le faire car tout le monde verra clair dans le jeu du gouvernement. Le problème, c’est que l’Internationale fera un raccourci pour n’entendre que son opposition aux élections, pas aux conditions dans lesquelles le gouvernement voudrait les tenir. Elles seront alors décriées, ces élections. Toutefois, comme en janvier 1988, peu importe le nombre de participants, nos Amis décideront de sa validité, comme ils le voudront. Après tout, ce qui importe, c’est la tenue des élections, Mike Pompeo l’a proclamé haut et fort. Peu importe comment elles ont été réalisées, surtout si ses poulains s’en sortent gagnants. Et ça, l’opposition ne semble pas l’avoir vu dans sa boule de cristal, pour en tenir compte dans sa démarche.

Pierre-Michel Augustin

le 28 janvier 2020

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