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L’affrontement…

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Lorsque sur nos têtes, nous voyons s’amonceler des nuages menaçants, nous savons qu’il risque de pleuvoir. Une bonne averse, une pluie diluvienne ou un simple orage: tout peut survenir. Sauf peut-être un rayon de soleil, dans l’immédiat. Il faudra que crèvent ces nuages pour laisser un ciel clair au rayon de soleil qui ne surviendra qu’après. Mais tout va en séquence, l’un après l’autre, et non vice-versa.

Cela fait déjà quelques temps que couvent nos divergences. Nous avons palabré, nous avons discutaillé, nous avons élevé la voix. Le peuple a même manifesté bruyamment dans les rues et provoqué quelques casses, pour ponctuer sa colère, son désarroi. Mais le Pouvoir avait choisi de faire le gros dos et d’ignorer ses cris d’alarme. Pourtant, il était clair que sa politique ne fonctionnait tout simplement pas. La raison en est simple: il n’en avait aucune vraiment. Juste du laisser-faire, ou mieux: du laisser pourrir. Nous avons tous vu que le pays, tel un vieux rafiot prenait de l’eau et s’enfonçait à vue d’œil. Tous les indicateurs en attestent. Mais, au Pouvoir, ils ont préféré verser dans des slogans politiques incantatoires pour remédier à la situation. Et quand cela n’a pas fonctionné non plus et que le peuple, n’y pouvant plus, s’est résolu à prendre la rue pour exprimer son ras-le-bol, le Pouvoir a recouru à la violence aveugle et indiscriminée. Peut-être que le mot indiscriminé est assez mal choisi, car ses cibles sont toujours les mêmes. Les victimes se comptent toujours d’un seul côté. À l’aveuglette, peut-être, mais toujours du même bord. Mais cela, c’était avant le dernier sursaut de ce peuple désespéré, généralement bon enfant, mais qui semble être désormais déterminé à ne plus être le seul à souffrir.

Depuis une bonne quinzaine, la rue est survoltée. On ne parle plus de manifestation pacifique. On ne peut plus, humainement, l’exiger de ceux qui prennent la rue, quand ils se font canarder régulièrement par notre police qui devient de plus en plus un accessoire livré au pouvoir politique, un appendice armé, à la solde du pouvoir PHTK. Même la Conférence des Évêques Catholiques, généralement posée et sage dans ses discours publics, lors de son communiqué, comme pour répondre au dernier Appel à la Nation du Président Jovenel Moïse, ne peut plus recourir à cet appel au pacifisme inconditionnel. Car la violence, comme elle le dit si bien, on en connaît la source. Cette violence insidieuse et régulière qui affame près de 60% de la population, qui exclut près de 600 000 enfants de toute scolarité, qui embastille quelques milliers de prisonniers de droit commun sans prendre le temps de les déférer devant leur juge naturel, qui condamne tout un peuple à la médiocrité pendant que tous ses voisins aspirent à un mieux-être: cette violence, on en connaît tous la source. Et, aujourd’hui, celui qui en fait la promotion et qui en est le porte-étendard, c’est Jovenel Moïse, et le parti PHTK, tout divisé qu’il puisse être maintenant, paraît-il.

Nous sommes passés progressivement de l’indifférence à l’opposition pacifique. Puis, de manifestations des rues à la désobéissance civique généralisée. Aujourd’hui, nous sommes rendus au stade de l’affrontement physique, au corps-à-corps et à la lutte fratricide, sans merci. À la violence invisible mais combien réelle, imposée régulièrement à celles et à ceux qui ne mangent pas à leur faim depuis des lunes et qui regardent, impuissants, leurs enfants s’étioler sous leurs yeux, à la violence répressive et combien physique de la morsure des balles tantôt de caoutchouc mais parfois aussi de balles réelles, à celle des effluves asphyxiantes de gaz lacrymogènes dont font usage les forces d’État et leurs adjoints civils, aux dépens de ceux qui manifestaient encore pacifiquement hier, une nouvelle disposition peu à peu prend forme. On brûle aujourd’hui des commissariats de police et on lapide ces policiers devenus des bourreaux, faute de pire, faute d’armes plus sophistiquées peut-être. On flambe des commerces et même des maisons d’instruction (à défaut d’institutions scolaires, à proprement parler). On prend une pause de temps en temps pour se refaire des forces, pour faire un peu le point, mais on retourne sur les barricades car cette lutte est une spirale d’où ne peut sortir qu’un seul gagnant. Et le peuple l’a compris, cette fois.

Sur nos écrans d’ordinateur ou de téléphone, les images de scènes dantesques, de scènes de folie meurtrière, nous assaillent. Le commissariat de Cité-Soleil est saccagé, ses véhicules flambent. Ses policiers se terrent. Certains sont aux abois et en cavale, un peu comme notre Président dont on n’a plus vraiment d’indications claires sur les allées et venues et surtout sur son domicile fixe. Les rumeurs s’affolent. J’ai vu sur WhatsApp un vidéo d’un contingent de militaires dominicains qui s’apprêteraient à envahir le pays pour occuper le territoire et imposer la paix, sa paix. Et mon sang ne fit qu’un tour. Cela m’a pris une bonne heure pour revenir à la normale, à un certain calme physiologique, propre à une saine réflexion. Mais cela aussi, c’est la réalité concomitante à la situation d’affrontement dans laquelle nous nageons, sans savoir comment nous nous en sortirons, ni qui s’en sortira indemne. C’est la désinformation pour désarmer l’adversaire et attirer son attention, ailleurs que sur le champ réel des opérations. Celui-ci existe bien, en effet. À Pétion-Ville, dans les hauteurs de notre société, les membres du CORE Group, toujours les mêmes qui ont encore le pouvoir de convocation, avaient invité les protagonistes pour leur exprimer leurs inquiétudes, pour écouter, une autre fois, leurs revendications et exhorter tout le monde au sacro-saint dialogue. Dialogue entre nous, dialogue avec Jovenel. Par-dessus tout, il faudrait, selon eux, respecter les institutions, du moins ce qui en reste. On ne parle plus de mandat de quiconque ni de leur respect intégral. L’heure est donc grave. Les lignes bougent à peine mais elles ont bougé, par la force des choses. Ceux, qui n’écoutaient que la violence, ont finalement entendu la rumeur grossir et s’approcher de plus en plus de leurs positions. Ils s’y accrochent encore, espérant utiliser le CORE Group comme bouclier politique et les forces de l’ordre comme des fantassins pour mater les assauts du peuple.

Fort heureusement, je sais que, parallèlement, les échanges se font, au sommet. La tournée internationale du sénateur Évalière Beauplan en atteste. Les ébauches de plan de sortie de crise se précisent. On revient à des positions plus ou moins constitutionnelles mais déjà éprouvées. Tiens, pourquoi pas un ou une juge de la Cour de Cassation comme Président, et un Premier Ministre de consensus pour diriger un gouvernement intérimaire. On discutera ensuite de la durée de l’intérim. Pour le moment, pour parer au plus pressé, il faut organiser le départ ordonné du Président Jovenel Moïse. Point n’est besoin de casses supplémentaires, ni d’aboutir au scénario catastrophe. C’est ce qui arrive généralement lorsqu’on s’obstine à s’asseoir sur ses oreilles ou qu’on les a plus longues que notre tête, comme c’est le cas des ânes.

Nous voici donc aujourd’hui revenus au temps de l’affrontement. Décidément, septembre, pour nous, porte malheur. Il y a 28 ans de cela, un autre mois de septembre, nous avions connu également un temps d’affrontement. Nous en savons aujourd’hui à peine le bilan. Il en reste encore quelques protagonistes vivants qui peuvent témoigner de ce temps de l’horreur et de vies gaspillées. Cinq mille morts, disent les historiens, et nul ne sait combien d’estropiés, de blessés, de familles brisées, d’enfances perdues, de génies détournés qu’a subis le pays, à cette occasion. Mais nous revisitons aujourd’hui encore cette même tragédie. Le temps du défoulement collectif, de l’expression brutale de la négation de l’autre et l’opiniâtreté de certains jusqu’au-boutistes est, une fois de plus, à l’affiche. On n’y échappera pas car le temps du dialogue proposé par les prêtres de la tolérance et du vivre ensemble est révolu. Ils l’ont laissé passer, pendant qu’il en était encore temps. Ils n’ont pas assez rappelé à leur poulain, au début de la crise, qu’il lui fallait apprendre à composer avec l’opposition, à lui faire une place et à offrir une réponse adéquate aux revendications d’une partie significative de la société dont elle se fait la porte-parole. Ils ont laissé s’installer et grossir, la tumeur de la désunion et le cancer de la discorde, jusqu’à se propager et se disséminer dans toutes les strates de la société, dans nos organismes et nos institutions, telle une métastase qui a envahi le corps entier de notre société. Et ce n’est que maintenant, fort tard, bien trop tard pour cette thérapie douce, qu’ils voudraient qu’on s’asseye autour d’une table, comme des gens bien sages, pour deviser en toute sérénité de nos enfants qui ne peuvent pas manger, voire aller à l’école, de nos malades qu’on ne peut pas soigner et qui crèvent dans nos hôpitaux devenus des mouroirs pestilentiels, faute d’entretien, faute de médecins, faute de moyens, faute de politique.

Ne nous méprenons pas, dans les instances internationales, tout le monde est au courant qu’Haïti est un pays failli. On ne le clame pas encore sur tous les toits parce que notre faillite signifie également celle de la Communauté internationale qui s’y est investie depuis le renversement du Président Aristide, en février 2004. On n’en parle pas tout haut mais on nous regarde comme des pestiférés, une bande d’incapables et surtout d’emmerdeurs qui viennent foutre le bordel ailleurs dans la Caraïbe et dans toute l’Amérique. Chacun se protège en nous voyant venir, tel un enrhumé qui risque d’éternuer à tout moment. Notre rhume s’appelle l’instabilité politique chronique et, l’on ne sait jamais, cela pourrait être contagieux. La République Dominicaine, les Bahamas, le Chili et quelques autres pays de notre continent ne prennent plus de gants à notre égard.

Il faut donc que cela cesse. Et pour commencer, il faut traiter notre mal en amont. Il faut casser, une fois pour toutes, ce cycle infernal. Il faut éradiquer la corruption qui sévit dans nos institutions. Il faut cautériser cette plaie ouverte que tout le monde dénonce mais que personne ne traite. Il faut que cet affrontement aboutisse à crever cet abcès qui nous afflige et qui nous fait emprunter la démarche du crabe qui avance de travers. Que ce mois de septembre soit le début de la saison de contrition et de remise à plat. Qu’il soit le début de la reprise en main du pays par la partie saine encore de sa société, pour un émondage radical des bois morts ou atteints irrémédiablement. C’est la seule solution pour une renaissance florissante d’Haïti. C’est le seul chemin pour parvenir à une certaine stabilité sociale et politique. C’est la seule voie pour une relance éventuelle de l’économie. C’est le seul moyen d’insuffler un peu d’espoir à notre jeunesse pour qui l’horizon est bouché depuis trop longtemps déjà.  Le seul service que peut encore rendre au pays ce Président qui nous afflige, c’est d’écourter son mandat au plus vite et de remettre sa démission sans délai. On évitera peut-être ainsi les derniers spasmes de la bête, qui sont toujours les plus douloureux et les plus cruels. On évitera ainsi peut-être au pays, un autre 1915.

Pierre-Michel Augustin

le 1er octobre 2019

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