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Le vote de la honte de la République d’Haïti à l’OEA

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En politique, comme dans la vie courante, pour le commun des mortels, il y a des choses qui demeurent taboues, des gestes que nous ne pouvons pas faire, sous peine de perdre une bonne partie de l’estime que l’on a pu accumuler au cours des ans, aux yeux des autres. Le respect de nos pairs se gagne à coups de sacrifices que l’on s’impose à soi-même. Ce n’est jamais facile. Rien de facile n’a de grand prix. Le vote de la République d’Haïti à l’OEA, à l’endroit de la République Bolivarienne du Venezuela et du gouvernement du Président Nicolas Maduro Moros, est un exemple de ces choses qui ne se font pas entre des peuples et des gouvernements amis.

Je le sais bien, que généralement, l’amitié entre les peuples est fondée sur des intérêts réciproques. Je le sais aussi que le jeu de nos intérêts est un rapport dynamique et, qu’à certains moments de l’histoire, ceux-ci ne concordent pas toujours. Je le sais aussi, que les impératifs de la conjoncture, comme aimait à le dire le Professeur Lesly François Manigat, nous obligent parfois à composer avec des contraintes politiques importantes. Néanmoins, j’ai peine à croire qu’il faille toujours s’avilir jusqu’à bassement renier ses professions d’amitiés encore récentes, pour de vénales et opportunistes considérations.

Qu’il me soit permis de rappeler quelques faits, pour mémoire.

  • Pas plus tard que l’été dernier, le Président de la République d’Haïti, aux prises avec un déficit budgétaire carabiné, s’était rendu personnellement avec son ministre des Finances d’alors, pour aller demander à son homologue récemment réélu, la permission de reporter le versement d’une tranche de plus de 80 millions de dollars, sur la dette enregistrée dans le cadre du Fonds PetroCaribe. Peu lui importait alors, que les résultats obtenus, lors des élections au Venezuela, ne soient pas tout à fait conformes avec les normes et les standards démocratiques, si tant est qu’ils ne fussent pas pleinement acceptables aux yeux de ceux qui s’érigent en juges et qui sentencient allègrement nos exercices démocratiques. Son Excellence, M. Jovenel Moïse et le gouvernement haïtien ne se sont pas embarrassés de ces présumées vilénies d’alors, pour féliciter chaleureusement leur hôte et bienfaiteur, en retour sans doute de cette grande faveur qui leur enlevait une grosse épine du pied. Mieux encore, celui-ci leur accorda la latitude de dépenser une partie de ce versement reporté, dans des programmes d’apaisement social qui dérogeaient pas mal des cadres prévus originalement pour l’utilisation de ce fonds. Pourtant, ce petit versement aurait pu soulager un tant soit peu, les grands besoins financiers qui pesaient lourdement sur les épaules du gouvernement vénézuélien, aux prises lui-même, avec une partie de sa population en grogne contre lui, en raison des privations auxquelles elle doit faire face journellement.
  • Ce gouvernement vénézuélien sur lequel aujourd’hui notre gouvernement lève le nez, est le même qui, succédant au Président Chavez et s’engageant dans les mêmes orientations de partage et de solidarité Sud-Sud, nous a permis d’engranger un fonds de plus de 3 milliards de dollars que nous avons dilapidé, sans qu’il ne nous tienne rigueur, du moins publiquement. Il avait choisi, au nom peut-être de l’amitié et du respect entre des peuples frères, de ne pas nous lancer la pierre publiquement, car cela ne pourrait que contribuer davantage à nos malheurs.
  • C’est encore ce même gouvernement issu du courant bolivarien de Chavez qui s’était précipité à notre chevet, au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010, pour effacer plus de 300 millions de dollars de dettes encourues, toujours dans le cadre du Fonds PetroCaribe, pour nous permettre de nous relever de ce désastre qui nous affligeait tant.

C’est ce gouvernement altruiste, solidaire et fraternel que nous avons opté de snober publiquement et traîtreusement, au nom d’un pragmatisme politique de mauvais aloi. Nous n’avons pas décidé de plein gré de sanctionner un pays frère qui se fourvoie dans des politiques abusives contre son propre peuple. Ô que non. Nous avons marchandé notre vote auprès de ceux qui nous ont craché dessus et qui nous jettent une obole, comme le font des bonnes gens aux mendiants sur le parvis des églises. Nous nous sommes ralliés à ces faiseurs de roitelets, contre un gouvernement ami, en proie à la colère d’une partie de son peuple et qui refuse de se mettre à genoux devant ceux-là et leur livrer les ressources de son pays, bradant ainsi les actifs qui permettront aux futures générations, de pouvoir espérer accéder à un développement intégral et harmonieux de leur nation et de leur économie. Notre gouvernement a tremblé de couardise, devant la menace de représailles des Américains, comme l’avait si bien exprimé le sénateur républicain, cubano-canado-américain, Raphael Edward Cruz. Nous avons négocié notre vote contre un plat de lentilles, contre quelques faveurs, comme la prolongation peut-être du séjour de nos nombreux migrants chez eux. Pour cela, nous avons avalé notre coulpe jusqu’à la lie, nous avons ingurgité notre opprobre, jusqu’à la dernière goutte.

Nous nous sommes inscrits, une fois de plus, une fois de trop, à contre-courant de notre histoire héroïque de peuple libre et promoteur d’émancipation. Une autre fois, comme à Punta Del Este, lors du vote historique de la République d’Haïti contre le peuple et le gouvernement frères de la République de Cuba, nous avons opté pour nous unir avec les fauves contre ceux qui, comme nous, luttent pour s’extirper des griffes acérées de l’exploitation.

Le pire dans tout cela, c’est qu’il nous était possible d’éviter cette situation et de prendre position dans cette affaire. La République d’Haïti n’était pas obligée de prendre position dans ce dossier qui relève des affaires internes de la République Bolivarienne de Venezuela. Comme l’a signalé le représentant d’Haïti dans son allocution de circonstance, certes, «le triomphe de la gouvernance démocratique demeure la voie royale, en vue de faire face à la situation de crise qui prévaut au Venezuela.». Il aurait pu aussi reprendre presque mot pour mot, le discours de son prédécesseur, l’Ambassadeur Harvel Jean-Baptiste, lors de l’assemblée extraordinaire de cette même institution, en mars 2017, et inviter l’Assemblée à respecter la souveraineté d’un des États membres, comme le stipule l’article 1 de la Charte de l’OEA. D’ailleurs, plusieurs petits États membres de cette organisation, notamment, la Jamaïque, n’ont pas appuyé cette résolution. Il va sans dire qu’ils ne sont peut-être pas aussi vulnérables que notre pays, face aux menaces explicites de nos grands amis. Néanmoins, l’histoire est là pour témoigner que la lâcheté dont nous avions fait preuve, vis-à-vis de la République de Cuba, ne nous a pas tellement bénéficié. Certes, Haïti a contribué, par son vote, à légitimer les sévices brutaux appliqués contre ce pays frère qui ne nous a pas remboursé de la même façon. Il a préféré voler à notre secours et nous assister, et ce, dans le respect strict de l’exercice de notre souveraineté, avec une cohorte de médecins qui traitent nos malades, même dans les coins les plus reculés du pays, là où nos dirigeants n’ont peut-être jamais mis encore les pieds. Et, Dieu sait que nous aurions pu mériter quelques réprimandes publiques de la part de nos amis Cubains, en raison de notre gouvernance chaotique. Même constat pour Chavez et Maduro. Pas une fois, n’ont-ils levé le ton pour tenter de nous gronder ou de nous menacer, comme l’ont fait tant d’autres, après nous avoir tendu la main avec pitié et condescendance, et penser devoir prendre en mains la conduite de nos affaires internes, en magister dixit, comme des proconsuls. «Qui paie, commande.» C’était leur moto, lors de nos dernières élections dans lesquelles ils se sont immiscés, sans gêne aucune. Fort heureusement, la Providence a parfois de curieuses façons de remettre les pendules à l’heure. J’en entends certains aujourd’hui se révolter devant l’immixtion de l’autre, dans leur poutine interne. Quel retour de bâton ! Quel boomerang karmique!

Notre grand malheur dans cette tragédie, en plus d’avoir contribué à offrir un semblant de légitimation à des tentatives de déstabilisation d’un pays frère, c’est que nous nous exposons également à notre propre isolement, dans le concert des pays du monde et, plus immédiatement, des États du continent américain. Un pays sans une armée, digne de ce nom, et qui partage une frontière terrestre avec un État qui lui est hostile, doit pouvoir compter sur des pays amis fiables, susceptibles de lui prêter assistance diplomatique, sinon militaire, au besoin. Aujourd’hui, 57 ans après Punta Del Este, nous récidivons dans le même sens historique. Plus aucun État ne peut prendre nos professions d’amitié, avec sincérité. Puisque nous voulons jouer à l’opportuniste, à l’avenir, quel pays s’embarrassera-t-il de nos turbulences internes ou de nos sempiternels et tragiques manquements? Catastrophes diverses, tremblement de terre, cyclones ravageurs, coups d’État, massacres à répétition, plus aucun État n’en aura cure. On pourra toujours aller pleurer nos malheurs auprès de nos grands maîtres à penser. Il s’en trouvera peut-être un Président d’une république étoilée, pour penser tout haut, que nous sommes un «shit hole country» fort ennuyeux. Et, comme lorsque nous avons récemment vendu notre appui à l’Espagne, dans la tentative de sécession de la Catalogne, nous bénéficierons peut-être, en retour, de l’installation d’un hôpital pour notre population abandonnée par ses dirigeants, mais installé en République Dominicaine, pour bien nous montrer combien Sa Majesté nous tient en grande estime.

Pour tout vous dire, aujourd’hui, j’ai mal à mon âme d’Haïtien. J’aurai honte, chaque fois que je rencontrerai Rodriguez ou Maria, sur le quai d’un métro ou dans un restaurant. Nous autres, en diaspora, qui rencontrons quotidiennement d’autres expatriés comme nous, nous aurons honte de soutenir leur regard, honte de cette ignominieuse décision des dirigeants de notre pays d’origine. Comme le disait souvent feu mon père: «les vers de terre n’ont pas de colonne vertébrale, et pour cause, ils ne peuvent que ramper.» Nos dirigeants aujourd’hui, par cette décision, se sont ravalés au rang des vermisseaux.

Éric Jean-Marie Faustin

le 15 janvier 2019.

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