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Un moment de répit dans l’œil du cyclone

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La semaine du 26 novembre a commencé sur un faux semblant de calme social. En effet, une paix fragile semble régner sur tout le territoire, sauf à St-Marc où les «Petrochallengers» tiennent encore le béton. Mais ailleurs, ceux qui avaient lancé des mots d’ordre de grève générale pour lundi et mardi de cette semaine, les ont promptement retirés, se rendant bien compte qu’ils ne seront pas suivis par la population. Toutefois, rien n’est réglé. Aucun des griefs à la base de cette vaste mobilisation populaire n’a trouvé encore de solution. Tout est resté en plan, sans suite quelconque. Inévitablement, ils reviendront donc sur le tapis, tôt ou tard. Néanmoins, profitons de ce moment de répit pour analyser les failles que nous ont révélées ces bouleversements.

D’un côté, le gouvernement est complètement dépassé par les évènements et ne semblent même pas mesurer l’étendue de l’embrasement qu’il tente de circonscrire avec des moyens dérisoires. Ce n’est peut-être pas tout-à-fait le terme approprié lorsque l’on considère les dommages individuels et collectifs qu’ils peuvent entraîner. Toutefois, faute de meilleurs propos, et au vu des résultats obtenus avec de tels moyens dans un passé encore récent, il faudrait sans doute en rire pour ne pas en pleurer.

Le gouvernement haïtien, par la voix de plusieurs de ses porte-parole officiels ont accrédité implicitement des dérives graves dans le fonctionnement de la seule institution de sécurité qu’est la Police Nationale d’Haïti. Il ne s’agit plus de ouï-dire ou de rumeurs, lorsque le Directeur général de la Police Nationale, le Commissaire Michel-Ange Gédéon, déclare publiquement ne pas reconnaître l’existence d’une nouvelle unité de Police ni le nouvel uniforme de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN), ni être au courant de l’achat et de la disponibilité d’armes de guerre (des M-60) montées sur des véhicules de combat, circulant en plein jour dans les rues de la capitale avec le sigle les identifiant à l’USGPN. Ces déclarations veulent dire tout simplement que le haut Commandement de la Police nationale ne contrôle plus certains corps de police, notamment celui destiné au service de sécurité du Palais national qui en aurait fait un corps d’élite ne répondant qu’aux ordres émanant du Chef de l’État.

Pire encore, le Secrétaire général du Conseil des ministres, M. Renald Lubérice, ne conteste pas les allégations relatives à l’armement ultra spécialisé et hors normes de l’USPGN ni celles touchant à son uniforme non réglementaire. Il les reconnaît implicitement dans une déclaration publique dans laquelle il expliquait qu’il incombait au Palais national d’équiper adéquatement l’unité de police devant assurer la protection présidentielle. Ces dérogations à la chaîne de commandement hiérarchique de la Police, pour lui, ne pose aucun problème. Sans doute, dans sa conception de la hiérarchie, au sommet de la pyramide de commandement trône le Président et son cabinet qui peuvent alors tout décider. Les questions relatives à l’acquisition de ces armes et à leur affectation ne sont plus de mise. Cela relève de la sécurité présidentielle et probablement ne requiert que l’assentiment du vrai commandant en chef, à savoir: le Président de la République et pas le Directeur général de la PNH en qui on n’a aucune confiance.

Les lignes de stress, au cours de la semaine écoulée, ont mis également en évidence, l’appui sans nuance du CORE Group et, notamment, des États-Unis, au gouvernement de Jovenel Moïse. Leurs porte-parole respectifs sont venus, à tour de rôle, mettre l’accent sur l’obligation d’accepter la violence légale de l’État dans la mauvaise utilisation de ressources de l’État, afin d’éviter de causer des préjudices aux intérêts supérieurs du pays, en provoquant une instabilité sociale qui ferait fuir les investisseurs. Ceux-ci, à les croire, souhaiteraient grandement venir s’installer au pays pour y créer de l’emploi contre le salaire minimum famélique récemment adopté par le gouvernement. Tour à tour, d’abord, M. Kenneth Merten, Sous-secrétaire d’État américain, le 21 novembre, déplorait la situation haïtienne sur les ondes de la Voix de l’Amérique, en déclarant sans sourciller que «les États-Unis n’aiment pas les situations de violences (sans blague). Ce n’est pas bon que des gens attaquent de paisibles citoyens. Haïti a besoin d’investissements, Haïti a besoin d’investisseurs». Et le CORE Group de surenchérir dans une note publiée le 22 novembre: «les actes de violence qui visent à provoquer la démission des autorités légitimes n’ont pas leur place dans le processus démocratique.» Ces déclarations semblent attribuer le désordre social exclusivement aux organisations politiques qui réclament, pacifiquement d’abord, la reddition de comptes sur l’utilisation du fonds PetroCaribe et qui, en désespoir de cause, exigent le départ d’un gouvernement et d’un Président qui font la sourde oreille à leurs revendications. Ces déclarations renforcent le gouvernement dans sa volonté de réprimer brutalement les mouvements de contestation pacifiques, lorsqu’elles n’expriment pas des réserves sur le déploiement d’armes de guerre pour intimider des manifestants non armés et sur l’utilisation de balles réelles contre des manifestants.

Ni le CORE Group ni Kenneth Merten ne s’émeuvent des vidéos de pourceaux dévorant des cadavres dans les détritus de La-Saline. Ils ne se questionnent pas non plus sur l’origine de ces armes inconnues du public et même du Directeur général de la PNH, mises à la disposition de l’USGPN bien que le pays soit encore sous un embargo qui lui interdit l’acquisition régulière d’armes de guerre. Seraient-elles acquises par contrebande ou en complicité tacite avec ceux-là même qui veillent au renforcement de cet embargo ? L’hypocrisie et le silence du secteur international sur les errances du gouvernement d’Haïti équivalent à un permis de massacrer qui pourrait se solder par un vrai bain de sang éventuellement. Que Dieu nous en préserve car cela s’est déjà produit au Rwanda, par exemple. Après coup, bien des chefs d’État, pourtant avertis longtemps à l’avance de l’imminence d’un massacre à venir, après avoir feint de ne pas le savoir, sont venus verser des larmes de crocodiles sur les quelque 800 000 Tutsis massacrés à la machette par des hordes de Hutus. Les six personnes dénombrées par la PNH comme étant effectivement des manifestants abattus par balles (à la tête) lors des journées de mobilisation pourraient ne pas rester sans réponse, tout le temps. D’ailleurs, on a fait grand cas du meurtre condamnable d’un policier dons le corps a été brûlé récemment. Il n’est pas dit que cet incident regrettable soit lié aux manifestations. Le contraire non plus n’est pas à écarter et, si tel était le cas, il n’y a aucun moyen pour un corps de police de 16 000 hommes et femmes, de mater 12 millions d’individus en colère, surtout si ceux-là doivent à un moment de la durée, retourner vivre dans leur quartier, au sein même de cette population dont ils auront préalablement déchaîné la colère et les actes de vengeance.

Décidément, ceux qui nous gouvernent n’ont rien retenu de l’histoire récente du pays. En agissant comme ils le font aujourd’hui, en écoutant ceux qui leur conseillent l’usage de la force pour dissuader la population dans leurs justes revendications, ils ne prennent pas en compte ce qui s’est passé au pays en 1986 et en 2004. Ceux qui nous gouvernent et ceux qui les entourent n’observent pas ce qui arrive généralement aux adeptes du jusqu’au-boutisme. Certains chefs, les plus chanceux, parviennent à s’échapper dans l’ignominie, pour aller pourrir en exil, honnis de la population qu’ils avaient martyrisée. Mais leurs hommes de mains, ceux qui opéraient leurs basses œuvres, que deviennent-ils après ? Ils sont restés des gueux, pour la plupart, quand ils ne périssent pas tout simplement, broyés par le même système qui les avait utilisés, comme feu Ravix Rémissainthe.

D’un autre côté, nous avons vu, la semaine dernière, le spectacle d’une opposition capable de mobiliser les foules et d’organiser des marches pour bloquer le pays, certes, mais on en attendait plus encore. On s’attendait à ce qu’elle puisse mettre sur pied un large front commun, avec une alternative claire et une ébauche de prise en charge effective des besoins sécuritaires et de survie d’une population livrée en pâture à des escadrons de la mort, en gestation. On s’attendait à une percée dans le mur d’indifférence du secteur international pour fragiliser les appuis de Jovenel Moïse et de son gouvernement, auprès de certains de ses supporters. On ne s’attendait surtout pas à des tentatives en solo, à des «pike devan» et à des distractions orchestrées par certains leaders de l’opposition, dans l’espoir de râfler la mise et de ravir les fruits d’un combat collectif. Cela n’a pas fonctionné en 2014, tout comme cela ne fonctionnera pas en 2018. Au pire, cela donnera les mêmes résultats qu’en 2014 il permettra à l’adversaire au pouvoir de reprendre son souffle et l’initiative de la lutte pour conserver le pouvoir, comme ce fut le cas en 2016.

On s’attendait à ce qu’un Directoire Général de l’Opposition parvienne à convaincre les esprits encore sains dans ce pouvoir, d’abandonner le navire, pendant qu’il en est encore temps, de convaincre les commissaires encore sains dans l’État-major de la police, un peu comme son Directeur général actuel, de prendre publiquement leur distance par rapport aux dérapages qui s’orchestrent actuellement et qui ne peuvent, à terme, que conduire la PNH au même destin que la FAD’H vermoulue par l’indiscipline, l’insubordination et la corruption qui ont gangrené cette dernière institution au sommet. On s’attendait aussi à ce que le Secteur démocratique fasse le plein des personnalités et des organisations du secteur démocratique, dans le but de présenter un front assez large pour dissuader le secteur international de la tentation de vouloir la contourner.

Au lieu d’une déclaration commune d’un Directoire Général de l’Opposition, on se retrouve avec un florilège de propositions de sortie de crise, ce qui offre la possibilité au gouvernement de choisir la moins contraignante de toutes et de dire qu’il est de bonne foi et qu’il a tendu la main à l’opposition.

Mais, les manifestations de la semaine dernière, ce n’était peut-être qu’une répétition des choses à venir, une de plus, qui permettra à l’opposition du Secteur démocratique et populaire d’accorder éventuellement ses violons, au moment opportun. Cette échéance opportune arrivera immanquablement car les fondamentaux de l’économie militent pour un changement radical dans l’équilibre du pouvoir actuel. La gourde plonge un peu plus tous les jours. Le cours des changes est rendu aujourd’hui à 75,50 gourdes pour 1 dollar U.S. La décote de la gourde ne peut que s’accentuer avec l’instabilité politique courante qui menace grandement le flux déjà anémique de touristes au pays, pour les fêtes de fin d’année. À la frontière haïtiano-dominicaine, c’est l’anarchie. Des contrebandiers passent à qui-mieux-mieux et, malheur aux douaniers qui s’y opposent. En témoigne le triste sort réservé à quatre d’entre eux à Malpasse, la fin de semaine dernière. L’augmentation régulière et considérable du coût de la vie agrandit, chaque jour un peu plus, le cercle des appauvris de notre société. Sans budget, sans moyens et, surtout, sans une vision claire de ce qu’il faut faire pour redresser la barque du pays, on aura beau écoper avec des gobelets, on n’arrivera jamais ainsi à corriger le tir. Les promesses ne suffisent plus pour endormir la population qui attend une éclaircie heureuse à sa grisaille quotidienne. Donc, il n’est que d’attendre. Le moment opportun arrive inévitablement, plus tôt que tard.

Entre-temps, il faudrait peut-être corriger les défaillances du Secteur Démocratique de l’Opposition et arrêter surtout de mettre la charrue avant les bœufs. Un moment de répit s’offre à la population, au Gouvernement et aussi à l’opposition. Cette dernière a tout à gagner de cette trêve, si seulement elle arrive à combler ses lacunes et à prendre les dispositions pour s’affirmer comme une alternative crédible à un gouvernement qui, dès le départ, n’a jamais su dans quoi il s’embarquait et qui était visiblement mal préparé pour relever les défis auxquels il devait se colleter. Le temps dira la suite de cette saga pour le pays, de cette tragédie qui n’a que trop duré.

Pierre-Michel Augustin

le 27 novembre 2018

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