HomeActualitéLe drapeau haïtien: un choix entre patriotisme et nationalisme

Le drapeau haïtien: un choix entre patriotisme et nationalisme

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Les historiens, de façon unanime, reconnaissent l’impact catalyseur sur les luttes à St-Domingue, d’abord autonomistes et ensuite indépendantistes, de la déclaration solennelle que tous les hommes (par omission tous les Français) naissent et demeurent égaux en droit, de l’Assemblée constituante de Paris en 1789. Quand finalement, le Cap-Français avait capitulé le 18 novembre 1803, face à l’avance de l’armée indigène haïtienne, le drapeau français d’alors, le bleu, blanc et rouge, fut un amalgame du drapeau parisien bleu et rouge verticalement aligné avec le drapeau blanc de la monarchie française. Sachant que plusieurs de nos héros de Vertières avaient vécu, étudié et combattu dans les rangs des Français, l’adoption du drapeau bleu et rouge, sans le blanc monarchiste, esclavagiste et colonialiste, représentait, selon plus d’un, un choix facile entre les généraux haïtiens, vainqueurs.

Selon des récits militaires des archives de l’armée française, quand ils saisirent le navire « la Victoire », le 19 mai 1803, on trouva à bord le drapeau noir et rouge. À la même époque, d’autres rebelles indigènes, capturés par les soldats français, étaient en possession du drapeau bleu et rouge. Quelques mois plus tard, le drapeau bleu et rouge (vertical) avec la mention: «Liberté ou la mort», allait devenir le premier drapeau officiel du pays. Ce fut le 18 mai 1803. L’empereur Dessalines ne tarda pas à changer les couleurs du drapeau, en empruntant le noir et rouge qui déjà se hissait dans les rangs de certains soldats révolutionnaires (1804 – 1806). Cette position, à la fois nationaliste et raciale, démontrait la ferme conviction que les Haïtiens étaient noirs et que le prix de la liberté fut le sang «rouge» versé par les martyrs de l’indépendance.

Après l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er, connu aussi comme Jean-Jacques Dessalines, Pétion, dans l’Ouest, adopta le bleu et rouge parisien avec la devise « l’union fait la force» (1806-1811). Ironie ou simple vœu, à la vérité, cette devise était celle d’un pays déjà divisé. Et dans le Nord, le Roi Henri 1er, avec une approche similaire à Dessalines, conserva le noir et rouge (1806-1820). Après la mort mystérieuse du Roi Henri 1er, le Président Boyer, un mulâtre éduqué en France, à l’instar du Président Pétion, avait réunifié le Nord et l’Ouest sous un seul commandement et un seul drapeau : le bleu et rouge. Ces couleurs : « bleu et rouge » passeront plus d’un siècle comme celles représentant notre nation. Il faudra attendre l’arrivée du Dr. François Duvalier qui, s’étant proclamé un nationaliste noiriste, pour de nouveau changer le drapeau en noir et rouge (1964-1986). Après la chute de la dictature des Duvalier en 1986, le drapeau haïtien légalement établi est le bleu et rouge, avec les emblèmes de la République tels que définis dans la Constitution de 1987.

Chacun peut interpréter les couleurs comme bon leur semble. Par exemple, Leslie Péan croit que le bleu et rouge représente ceux au top de la pyramide sociale d’Haïti et le noir et rouge, ceux de la base. Les partisans d’une telle approche s’attachent principalement à la couleur de la peau de certains de nos anciens dirigeants qui favorisaient le drapeau «bleu et rouge»: Alexandre Pétion, Jean Pierre Boyer, André Rigaud, Soulouque Faustin, pour ne citer que ceux-là. Ils sont tous mulâtres et avaient étudié et/ou vécu en France. De pareilles réflexions pourront servir d’excuse ou de justification pour les gens qui, de façon malhonnête, s’attaquent au bicolore bleu et rouge, comme preuve de leur rébellion et de leur désapprobation du régime en place.

De façon patriotique et pour l’histoire, je dois rappeler les points suivants, à quiconque, sous le couvert d’un nationalisme, prétendrait adopter le drapeau noir et rouge:

  • Dans notre histoire, dans tous les cas où le drapeau noir et rouge fut utilisé, nos leaders furent des monarques, des dictateurs, s’attribuant le droit de régner à vie. De l’Empereur Jacques Premier, Dessalines, en passant par le Roi Henri 1er, pour arriver à Papa et Baby Doc, ils ont tous fait montre d’un nationalisme, d’un attachement particulier aux noirs mais regrettablement, leurs visions du pouvoir, comme étant les uniques et seuls capables de diriger le pays, ont fait d’eux des tyrans.
  • Monter le drapeau, c’est un signe clair de victoire, ce qui n’est pas le cas pour ces leaders du drapeau noir et rouge. Ils n’ont aucun mandat du peuple par la voie démocratique. Et s’autoproclamer le leader du peuple dans les rues démontre plutôt un caractère anarchiste.
  • Faire allégeance à un drapeau autre que celui prescrit par la Constitution est un acte illégal et sûrement de trahison. Enlever d’un mât le drapeau haïtien est pareil aux actes de certains extrémistes dominicains qui brûlent et piétinent notre drapeau. Ce geste n’est autre qu’une insulte à la mémoire de toute une nation. Bref, une déclaration de guerre!
  • Ce n’est pas une surprise que, pour les pro-duvaliéristes, le drapeau noir et rouge signifie une opportunité exceptionnelle de rêver au retour de ce pouvoir absolu, comme celui dont ils jouissaient avec Papa Doc et Baby Doc.
  • C’est un piège à éviter car, au moment où les revendications populaires contre la corruption semblent donner fruit, soudainement, des leaders politiques sortent de leur hibernation pour profiter de la mobilisation à leurs propres fins. Diversion, distraction ou opportunisme? À vous d’en juger.

En plus des nombreux problèmes de notre peuple miséreux et malchanceux, nous ne pouvons pas permettre que des politiciens, obsédés par le pouvoir et d’autres désireux d’allonger leur séjour dans les ruines du Palais national, fassent de notre bicolore, un problème additionnel. Car notre bicolore, au moins, a toujours été un point de ralliement de tous les Haïtiens. En témoignent, les grand défilés durant la fête du drapeau, chaque 18 mai, que nous célébrons fièrement en Haïti et un peu partout à travers le monde où il y une forte communauté haïtienne.

Il est temps de travailler ensemble pour éradiquer les vrais calvaires du peuple Haïtien, comme le fléau de la corruption. Écartons-nous de cette mentalité partisane et tribale. Priorisons les intérêts de la nation, pas uniquement ceux d’un leader ou d’un parti politique. À l’instar de nos frères noirs américains, faisons preuve d’un patriotisme exemplaire. En dépit des discriminations raciales dont ils étaient l’objet durant la deuxième guerre mondiale, la guerre des Corées et celle du Vietnam, nos frères noirs américains avaient pu mettre de côté les problèmes internes pour défendre leur drapeau, transformant leur pays comme le plus puissant du monde, aujourd’hui.

Il y a plus de 215 ans que les révolutionnaires haïtiens avaient dû surmonter les problèmes de couleur pour se mettre d’accord sur la nécessité de combattre sous un seul drapeau pour libérer cette île d’Haïti de l’esclavagisme et du colonialisme. Notre révolution causa la panique dans les rangs des colons à travers le monde. Nous avions créé une république libre, en prêtant allégeance à notre bicolore.

Certes, on a connu des moments de tensions au sein de la société haïtienne, nourrie surtout par des discours odieux et discriminatoires de certains politiciens apatrides et de quelques hommes d’affaires mesquins. Cependant, nous devons nous estimer fiers de n’avoir jamais eu à vivre dans une société ou le racisme était institutionnalisé et encouragé dans des textes de lois. Nos bicolores, que ce soit le «noir et rouge» ou le «bleu et rouge» représentaient et représentent encore notre grande nation, avec une histoire très vive et riche. Notre bicolore «bleu et rouge» doit rester un modèle unique dans la lutte antiraciste et anti-impérialiste. Notre devise doit demeurer «l’union fait la force». Quiconque encourage la destruction dans les rues et la dilapidation des caisses de l’État ou quiconque prêche la division au sein de la nation, sous prétexte qu’il préfère le noir et rouge au bleu et rouge, et ceci vice-versa, ne défend pas les intérêts de la nation.

Ing. Rodelyn Almazor

 

Références

  1. http://theconversation.com/african-american-gis-of-wwii-fighting-for-democracy-abroad-and-at-home-71780
  2. http://www.flagheritagefoundation.org/web/wp-content/uploads/2014/04/history-of-the-haitian-flag-of-independence.pdf 
  3.  May 2012 Alterpresse article Luttes de pouvoir et identité nationale
  4. http://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/liste-chronologique-des-massacres-commis-en-haa-ti-au-xxe-siacle

 

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