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Une autre virée présidentielle, outre-mer

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La semaine dernière, se tenait, à New-York, la 73e Assemblée Générale Annuelle des Nations-Unies.  C’est une grande messe annuelle à laquelle peu de chefs d’État manquent à l’appel.  Ceux et celles, qui sont en bonne posture chez eux, parfois se donnent quand même la peine de faire le déplacement pour frayer un peu avec leurs pairs et se congratuler mutuellement.  Histoire de changer un peu leur train-train. D’autres, notamment ceux qui, à bout de souffle, sont sur le point d’être désarçonnés par leur peuple frustré par leurs politiques, s’amènent aussi, pour reprendre leur haleine, pour quêter un support d’un de leurs amis qui les attendra au détour pour leur faire une offre qu’ils ne pourront pas toujours refuser, sous peine d’être relégués bientôt au rang des « has been », au rang des ex-chefs d’État en exil.  À cette occasion annuelle, il convient de venir raconter à ses pairs les monts et merveilles que l’on accomplit dans son coin de monde, sans que les autres, surtout les principaux intéressés, ne s’en aperçoivent, la plupart du temps. C’est comme au carnaval, on revêt des oripeaux pour bien camoufler certaines évidences, on beurre épais certaines réalisations. Finalement, on se retrouve souvent avec des caricatures de personnages et de sociétés qu’on aurait bien de la peine à reconnaître, en se fiant sur les données que nous rapportent les journaux d’où proviennent ces beaux parleurs au verbe ronflant.

Bien évidemment, notre Président, S.E.M. Jovenel Moïse était de la partie, comme le furent d’ailleurs ses prédécesseurs.  Comme il convient dans ces circonstances, il y était bien accompagné, paraît-il. Il ne faudrait pas maintenir à distance et à la maison le personnel indispensable pour lui prodiguer de sages et judicieux conseils à l’étranger.  Il ne faut surtout pas rater son coup quand on performe sur les plus grands podiums du monde. À commencer par l’étiquette vestimentaire et tout le protocole qu’il faut respecter à la lettre, il faut savoir s’y prendre. Et comme personne n’a la science infuse, autant être bien entouré, pour ne pas commettre certains impairs.  Si seulement c’était le cas ! Toujours est-il que le Président était, paraît-il, largement entouré, même si on n’a aucune précision sur la taille exacte de son aréopage. On n’a pas encore divulgué ce secret d’État. Évidemment, cela aussi a un coût, et dans l’état actuel de nos finances publiques, chaque sou vaillant devrait être compté.  Ce le sera probablement car le Premier Ministre, Charles Henry Céant, nous a promis, la main sur le cœur, lors de son acceptation au Parlement, de mettre fin au gaspillage des deniers publics, si tant est que ce soit le cas. Pour le moment, nous ne savons pas encore combien ont coûté à l’État, la participation de notre Président et de l’équipe de conseillers et d’autres dignitaires qui l’y ont accompagné.

Les déplacements de nos dignitaires, pour justifier la charge imposée à nos finances publiques, devraient éventuellement nous rapporter quelques dividendes en retour, préférablement plus substantiels que la dépense encourue.  En effet, c’était l’occasion idéale de régler certains dossiers importants pour le pays et pour la population. Par exemple, le Président Jovenel Moïse et la Première Dame, Martine Moïse, ont eu la possibilité d’échanger, de déjeuner et de se faire photographier avec le couple présidentiel américain.  On s’imagine bien qu’il aurait été d’un grand intérêt de saisir l’occasion pour signifier, au locataire de la Maison Blanche, notre grande préoccupation quant au sort des 58 000 de nos compatriotes encore sous le coup d’une éventuelle déportation massive des États-Unis, en juillet 2019. De plus, je n’irais pas jusqu’à demander des excuses publiques de la part du Président américain car l’on connaît son caractère un peu soupe-au-lait.  Il pourrait s’en offusquer et péter une coche, comme cela lui arrive parfois. Néanmoins, on pourrait trouver une façon habile de lui faire savoir, les yeux dans les yeux, sans faire trop d’esclandre, que nous n’avons pas vraiment apprécié ses propos défécatoires et désobligeants à l’égard d’un pays ami, de longue date. Je me serais aussi attendu à ce que notre Président prenne le temps de faire le tour de ces sujets avec lui, avant de poser pour une photo souvenir, comme si de rien n’était.  Évidemment, tout cela se prépare bien à l’avance. Ce n’est pas au pied levé qu’on y parviendra. Mme l’Ambassadeur des États-Unis en Haïti et le Chancelier haïtien auraient dû plancher sur ces sujets, quelques mois auparavant, de sorte qu’au voyage de la semaine dernière, tout soit fin prêt et planifié pour la tenue de ces échanges.  Mais ce ne fut pas le cas, paraît-il. Le gouvernement haïtien avait d’autres urgences à régler. Et comme tout se résume à l’activisme du Président, l’on comprendra, qu’entre deux supervisions de la Caravane du changement, il ne peut pas trouver le temps de tout faire, tout seul.  Il est vrai qu’il avait à ses côtés, jusqu’à récemment, le Chancelier Antonio Rodrigue. Mais, si l’on se fie à ses performances, surtout à Montréal l’an dernier, on ne peut s’empêcher de douter un peu de la justesse de ses conseils et de l’efficacité de ses démarches. Donc, à défaut d’un programme étoffé, en deux occasions, le Président haïtien et le Président américain auraient « échangé des civilités d’usage » lors de leurs rencontres.  Vous aurez bien compris qu’on n’en a pas profité pour discuter des dossiers qui nous importent.

Il en est de même pour d’autres rencontres d’une grande importance qui auraient pu avoir lieu et, surtout, desquelles pourraient découler des conclusions intéressantes pour le pays tout entier.  Prenons, par exemple, le dossier du choléra. En février dernier, le Président avait été attendu aux États-Unis pour participer à des rencontres de grandes conséquences avec les autorités des Nations Unies, sur ce dossier.  Cette instance se démenait comme un diable dans un bénitier pour quêter des fonds afin de financer son plan d’éradication du choléra et de dédommagement direct des victimes ou de leur famille. Ce fut pourtant le moment choisi malencontreusement par Jovenel Moïse pour prendre la mouche contre Mme Susan D. Page, la Représentante Spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies et Responsable en Chef de la MINUJUSTH.  Son Excellence avait choisi de bouder cette fameuse réunion qui devait faciliter la collecte de fonds dédiés à cette épidémie. Pour comble, on avait même rappelé notre ambassadeur à l’ONU, le professeur Denis Régis, « pour consultation ». Or, voici maintenant le Président, ayant repris ses sens et revenu de sa colère passagère, réclamant à l’ONU 390 millions de dollars pour endiguer ce fléau qui a déjà emporté plus de 8 000 de nos compatriotes et infecté plus de 800 000 d’entre nous.  C’est à se demander s’il a de la suite dans les idées, n’est-ce pas ?

En relations publiques, surtout quand on est demandeur de faveurs, il importe d’être cohérent et d’une certaine limpidité dans la logique de son argumentation et de ses politiques.  En effet, du haut de la tribune des Nations Unies, notre Président a tenu un discours en rupture avec celui qu’il avait fait l’an dernier, dans cette même enceinte. L’an dernier, il ne voulait pas d’aide mais des investissements pour le développement, et strictement à ses conditions.  Il est revenu cette fois, pour demander l’aide des Nations Unies, des gouvernements des pays amis, sans condition, et il a décliné ses besoins financiers afin de débloquer notre pays embourbé aujourd’hui, une autre fois, dans une impasse politique, sociale, économique et financière. Il chiffre nos besoins à la bagatelle de quelque 2,8 milliards de dollars U.S.  De ce montant, 400 millions seraient dédiés à la restructuration de notre réseau électrique et numérique, 675 millions pour « irriguer et viabiliser 450 000 hectares de terre facilement cultivables », 300 millions pour traiter et distribuer 220 millions de mètres cubes d’eau à la population des 146 communes du pays, 450 millions pour construire 15 000 salles de classes pour nos enfants, 800 millions pour construire et rénover des routes.  Pour compléter le tout, il voudrait aussi créer 14 « Centres de germoplasme et de propagation végétale pour reboiser le pays, cela coûterait 35 millions et un petit 20 millions pour construire des centres de santé dans des communes qui en sont dépourvues. Faites le compte et on n’est pas loin des 2,8 milliards de dollars. Quelqu’un dans cette salle aux Nations Unies pourrait lui rétorquer aisément de commencer par rapatrier les fonds PetroCaribe qui, à eux seuls, pourraient lui permettre de faire un bon bout de chemin dans son programme, sinon la totalité, avant de recourir à la demande d’un plan Marshall pour Haïti, aux frais des autres pays membres des Nations Unies.  Un trublion dans cette salle aurait pu aussi lui demander de joindre ses actes à ses professions publiques de combattre la fraude, le vol, le détournement de fonds, l’évasion fiscale, la contrebande et autres crimes économiques perpétrés régulièrement et impunément contre le pays. Évidemment ce ne serait pas très diplomatique, et dans ce cénacle, il est plutôt rare qu’on se lance quelques vérités à la figure. On a presque tous quelques squelettes au placard que l’autre pourrait inconsidérément exposer au grand jour. Cela risque toujours d’être laid. Alors, on s’en garde bien.

Incidemment, le Président de la République a rencontré Mme Christine Lagarde, Directrice Générale du Fond Monétaire International, pendant son séjour dans la Grosse Pomme.  Ils auraient « passé en revue l’état d’avancement du Staff Monitored Program ».  Ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle car tout le monde sait que cela a été un flop monumental.  Jugez-en par vous-même. Le gouvernement devait s’en tenir à ne dépenser que les fonds qu’il avait collectés durant la période.  Ils appellent cette politique le « cash management. »  Au lieu de cela, on vient d’enregistrer un déficit historique d’environ 20 milliards de gourdes, financé essentiellement par la Banque de la République d’Haïti (BRH) qui devait pratiquer justement cette dite politique de cash management.  En outre, le gouvernement a dû reculer sur ses intentions d’augmenter substantiellement les prix du carburant, à la suite des émeutes des 6 et 7 juillet 2018.  Le Président a continué sa tournée des bailleurs de fonds internationaux en rencontrant également M. Luis Alberto Moreno, Président de la Banque Interaméricaine de Développement (BID).  Bien sûr, pour le grand public, les discours ronronnent suavement. Les messages de compréhension sont autant de tapes dans le dos avec, en prime, le sourire carnassier pour les caméras.  Mais, en privé, on ne sait pas exactement la nature des échanges car on peut alors se permettre de se dire quelques vérités dans le blanc des yeux, sans faux-fuyant. Et je ne suis pas sûr que ce fût des félicitations chaleureuses pour les résultats promis et non obtenus.

Pour compléter le tout, le Président a rencontré un groupe de nos compatriotes triés sur le volet, à Spring Valley, un petit coin tranquille, commodément éloigné des grands centres turbulents de Brooklyn ou de Manhattan.  Comme il nous a habitué à ces occasions, il a donné libre cours à une logorrhée plus ou moins marquée au coin de son imagination fantaisiste. À l’entendre, il y aurait des communes entières, complètement électrifiées 24 sur 24 mais qui ne seraient pas encore découvertes par la presse, plus friande de mauvaises nouvelles et qui picore allègrement dans des dossiers creux, pour chercher la petite bête.  Il a indexé, sans les nommer, des partenaires du secteur privé qui transigent et contractent avec l’État haïtien pour fournir de l’énergie électrique au pays. À l’en croire, ces gens extorquent, sans scrupule aucun, des dizaines de millions de dollars par mois à un État rendu exsangue par leur faute, et qui se laisse faire, de peur d’encourir leur capacité de nuisance facilement financée avec le dixième de ce montant extorqué à chaque mois que le Bon Dieu met.  Cette fois-ci, il a laissé la paix à la magistrature. Il n’a pas fait allusion aux nombreux juges corrompus qu’il avait dû nommer sous la pression des bonzes du Pouvoir judiciaire. Il a visé une autre cible, un peu plus floue mais nettement identifiable. Et le bon public applaudit la faconde du Président.

Au bout du compte, le Président de la République était parti pour six jours au pays de l’Oncle Sam.  Il a participé au grand show annuel des Nations Unies. Il a rencontré quelques hauts dignitaires politiques et le gratin du financement international.  Il a exposé son plan et décliné la facture y afférente. Et puis, et puis… c’est tout. Tout comme il l’avait rétorqué au peuple après les émeutes de juillet, ses interlocuteurs l’ont entendu.  Mais rien ne dit qu’ils auront écouté son message ni qu’ils y donneront suite. N’est-ce pas cela qu’on appelle des coups d’épée dans l’eau ? Combien aura coûté l’expédition de Monsieur le Président ?   On le saura peut-être un jour. En attendant, il faut bien admettre que le Président est revenu bredouille de sa pêche miraculeuse sur les rives de l’East River. Aucun poisson n’a semblé mordre à l’appât lancé du haut de la tribune des Nations Unies ni dans les rencontres feutrées avec les hauts dignitaires financiers internationaux.

Pierre-Michel Augustin

le 2 octobre 2018

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