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Des troubles majeurs à l’horizon, pour le pays…

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Personne ne semble plus se nourrir d’illusions quant aux perspectives politiques et sociales au pays. Des partenaires internationaux aux supporters locaux, tout le monde se rend bien compte de l’immobilisme dans lequel nous stagnons. D’aucuns parlent aujourd’hui ouvertement de la fin d’un système, pas seulement de celle d’un régime aux abois. La Chambre des Députés, avec une commission dirigée par le député Jerry Tardieu, en appelle à un amendement de la Constitution. Toutefois, la somme des modifications proposées par cette commission parlementaire est telle, qu’il vaudrait mieux changer totalement de Constitution. De toute évidence, avec trente (30) recommandations principales qui entraîneront, à la chaîne, d’autres changements, il ne s’agit plus d’un amendement, même majeur. Il est question ici de refonte totale. Entre temps, tous les observateurs de la scène politique et sociale appréhendent des troubles majeurs dans les semaines ou les mois à venir. Ils ne savent pas si les modifications proposées, comme autant de remèdes à une situation extrêmement difficile, arriveront à temps ni si elles suffiront pour conjurer le danger.

Tout récemment, la Représentante Spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti et Cheffe de la MINUJUSTH, Mme Bintou Keita, a présenté son rapport sur l’évolution de la situation en Haïti, au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle n’a pas hésité à sonner l’alarme et à exprimer son appréhension quant à la «volatilité» de la situation générale et au risque «élevé de troubles majeurs» qui pourraient survenir en Haïti. Elle a mis en lumière les tergiversations des responsables politiques haïtiens dans la mise en branle des mesures d’atténuation de la tension sociale qui augmente de jour en jour. Pour cette fois, le Président Jovenel Moïse n’a pas semblé s’en offusquer outre mesure car il n’a pas encore déclaré Mme Keita persona non grata, ni rappelé l’ambassadeur d’Haïti à l’ONU pour consultation, en marge de ce rapport très dommageable et surtout très critique de sa gouvernance du pays et du bon fonctionnement des institutions dont il est pourtant le premier et ultime garant. L’un après l’autre, Mme Keita a décliné un chapelet de manquements qui implique directement le manque de leadership du Président, et son absence d’autorité sur sa majorité parlementaire qui s’obstine à vouloir maintenir un statu quo de plus en plus dénoncé par une population de plus en plus nombreuse dans les diverses manifestations de protestations, à la capitale et dans de nombreuses villes de provinces. C’était pourtant le même état de choses dénoncé au début de l’année mais qui avait entraîné la mutation de la Représentante Spéciale précédente du Secrétaire Général de l’ONU, Mme Susan D. Page, en raison de l’énervement du Président, quant aux constats crus de la situation et condamnés par cette dernière, notamment dans le dossier de PetroCaribe. En rétrospective, si la MINUJUSTH avait mis ses culottes à l’époque, si elle avait appuyé Mme Susan D. Page et avait plutôt insisté auprès du gouvernement quant à la pertinence et au bien-fondé d’un appui du gouvernement envers une demande de reddition de compte dans l’utilisation de ce fonds, au lieu de donner au Président l’impression qu’il lui était loisible et peut-être même justifié de faire obstruction à toute démarche judiciaire sur ce dossier, peut-être que nous n’en serions pas là aujourd’hui. Mais tout ceci est juste spéculation. Ce qui est tangible, c’est la dégradation croissante de la situation, même après le soulèvement populaire des 6, 7 et 8 juillet derniers. Le mouvement PetroCaribeChallenge a pris de l’ampleur et fait tâche d’huile, non seulement au pays mais également dans la diaspora haïtienne.

Le cabinet ministériel bricolé par le Premier Ministre nommé, Jean Henry Céant, vient à peine d’être rendu public après une gestation qui a semblé durer une éternité, que déjà il commence à perdre quelques joueurs. Comme d’habitude, quelques « fins finauds » croient toujours pouvoir ruser avec le système et mentent effrontément soit sur leur curriculum, soit sur leur citoyenneté exclusive haïtienne, soit sur leur déclaration fiscale obligatoire. Ainsi, déjà deux nouveaux ministres auraient été démasqués comme détenteurs également de passeport étranger. Personnellement, je pense qu’il est anormal d’exclure une catégorie de citoyens et de citoyennes du pays, des postes politiques décisionnels, en raison de la citoyenneté détenue dans d’autres pays. Je pense qu’il est grand temps de corriger cette injustice. Néanmoins, cela n’autorise nullement la pratique courante du parjure et des déclarations frauduleuses et mensongères pour accéder à ces postes, malgré l’interdiction malheureuse, encore en vigueur dans la Constitution du pays.

Mais ce n’est pas le seul défaut de ce nouveau cabinet qui suscite déjà plusieurs controverses. La semaine dernière, la DGI avait dû garder ses bureaux ouverts, tard dans la soirée, pour permettre aux nouveaux ministres nommés de payer leurs impôts arriérés et de mettre en ordre leur dossier fiscal, avant de se présenter devant le Parlement. Si un citoyen ministrable n’a pas à cœur de contribuer aux finances publiques et de faire ses déclarations d’impôt, comment peut-il s’ériger en modèle et exiger de ses compatriotes d’effectuer ce devoir civique élémentaire ? C’était le cas, paraît-il, lors de la mise en place des derniers gouvernements, de sorte qu’il devient une habitude pour toute une catégorie de citoyens et de citoyennes de se garder de payer leurs impôts et de ne s’exécuter qu’en toute dernière minute, lorsqu’il devient évident qu’ils sont appelés à prendre les commandes d’une institution quelconque de l’État. Et même là encore, certains n’hésitent pas à sous-estimer grossièrement leurs revenus, de façon à payer le moins d’impôt possible au fisc. Tant que l’État n’appliquera pas les sanctions prévues par ces manquements, dans toute leur rigueur, on assistera sans doute au même manège, à répétition.

Toujours dans le cadre du gouvernement en gestation, on s’apprêterait, semble-t-il, à escamoter certaines exigences légales pour accéder à des postes ministériels. Sur un total de 18 ministres, six (6) membres du cabinet démissionnaire seraient tout simplement maintenus à leur poste. À mon point de vue, et c’est aussi l’opinion de plusieurs experts de la chose publique en Haïti, il s’agirait d’une entorse aux pratiques administratives courantes. Dans le cas d’un remaniement ministériel, il me semble qu’il est possible pour un ministre de passer d’un portefeuille à un autre, sans devoir obtenir décharge de ses responsabilités antérieures, le gouvernement dont il est membre étant encore en poste. Mais dans le cas actuel, le gouvernement entier étant démissionnaire, avec le départ du Premier Ministre, il me semble alors que tous les ministres de ce gouvernement devraient obtenir décharge pleine et entière de leurs responsabilités antérieures, avant de se voir reconduits dans un ministère quelconque, y compris celui qu’ils occupent encore aujourd’hui. Il en serait de même pour les postes de Secrétaires d’État. Sur un total de quatre (4) postes à pourvoir, pas moins de trois (3) seraient tout simplement reconduits à leur poste. Il faut croire que ces officiers supérieurs de l’administration publique du pays abattent un boulot exemplaire, s’il faut absolument les maintenir à leur poste pour la bonne marche des institutions confiées à leur gestion. Or, il appert que rien ne marche vraiment dans les secteurs qui leur sont confiés. Prenez par exemple le ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle. Les derniers examens d’État supervisés par le ministre actuel, Pierre Josué Agénor Cadet, sont une catastrophe tant du point de vue de la logistique que des résultats des élèves. De plus, la rentrée des classes cet automne est également ratée, selon la plupart des observateurs. Même les subventions pour les livres des élèves n’ont pas pu être honorées à temps pour leur parution au moins une semaine avant l’ouverture des classes. Pourquoi alors devrait-on à tout prix maintenir ce ministre en poste ? Idem pour la ministre de la Santé publique et de la Population. Cette ministre n’a pas été capable d’établir un réseau d’institutions de santé minimalement adéquat pour répondre à une urgence locale dans tout le grand sud, comme on a pu le constater avec le décès, des suites d’un récent accident de la route, de la Dre. Amédée Gédéon. Pourquoi alors devrait-on tordre les règles pour maintenir en poste cette ministre de la Santé qui n’a pas pu livrer la marchandise ? Faire du neuf avec du vieux, dans leurs mêmes juridictions administratives en plus, cela a très rarement réussi. Le nouveau gouvernement qui sortira de ce cabinet, loin d’en être un de rupture avec les manquements divers et les carences flagrantes, sera plutôt un de continuité dans la médiocrité qui semble avoir été la marque particulière du gouvernement Moïse/Lafontant.

Dans le cadre du remplacement du gouvernement démissionnaire, les parlementaires semblent se conforter dans cette situation délétère, ce vacuum politique ambiant. Le Sénat dit qu’il n’est pas pressé et qu’il prendra le temps nécessaire d’étudier le dossier de chacun des membres du prochain gouvernement soumis à son évaluation. La Chambre basse promet d’en faire de même, après le travail du Sénat. Pour faire monter la pression sur le Premier ministre nommé, Jean Henry Céant, une vingtaine de députés exigeraient le maintien en poste d’un autre «Pa ka pa la». Aviol Fleurant serait un autre absolu incontournable à participer coûte-que-coûte au prochain gouvernement. C’est à cet ultimatum que devrait se soumettre le Premier ministre nommé, s’il veut obtenir le «sésame-ouvre-toi» à la Chambre basse.

Personne, ni au gouvernement, ni au Parlement, ne semble avoir compris l’urgence de la situation et la nécessité de donner rapidement un coup de barre dans une autre direction pour éviter la tempête que tant d’observateurs anticipent. Au Parlement, la Chambre des Députés vient d’adopter à la va-vite et en toute dernière minute le 30 août, un budget rectificatif pour un exercice financier se terminant le 30 septembre. Cela signifie que la Chambre des Députés vient juste d’entériner, a posteriori, des modification importantes opérées au cours des mois d’activité économiques pendant lesquelles les provisions budgétaires étaient obsolètes, en raison des nouvelles réalités financières du pays. Bref, on navigue à vue, sans prévisions budgétaires à moyen terme.

Du train que cela va, on assistera sans doute à un renvoi du Premier ministre nommé. Son énoncé politique, s’il est rejeté par la Chambre basse, en raison de la non satisfaction des exigences des députés pour la ratifier, signifiera la reprise du carrousel auquel on a assisté depuis les évènements de juillet dernier. Les illusions de changement tombent peu à peu. Dans la situation actuelle, rien ne dit que nous verrons la fin de cette valse de transition, avant les fêtes de fin d’année. Rien ne dit non plus qu’on ne débouchera pas sur une transition forcée qui nous donnera alors l’occasion de rebattre les cartes politiques et constitutionnelles, en vue de tenter de remettre de l’ordre dans les affaires du pays et dans le fonctionnement de nos institutions.

Pierre-Michel Augustin

le 11 septembre 2018

 

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