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Des signes d’un effondrement des institutions de l’État

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La fièvre n’est pas une maladie en soi. Elle est une manifestation d’un dérèglement significatif qui fait appel à une correction urgente, à une prise en charge immédiate et à une attention bien précise. Il en est de même pour certaines manifestations de problèmes importants dans notre société. Elles sont généralement des épiphénomènes qui signalent à notre attention que certaines situations arrivent à un niveau critique et qu’il importe de leur apporter une attention rapidement. Tout au long des semaines précédentes se sont accumulés des indicateurs d’un effondrement de nos institutions d’État. Certains observateurs les perçoivent clairement, mais la plupart des gens non avertis ne les remarquent même pas. Pourtant, ils sont comme autant de clignotants rouges sur notre tableau de bord social.

Tout craque au pays : l’environnement, nos institutions, tout. Le pays tangue comme un bateau ivre sur une mer démontée, tandis que, sur le pont, des capitaines de ce navire en perdition, crânent et font semblant que tout roule comme sur des roulettes.

  • La semaine dernière, une pluie a arrosé la capitale. Bilan : deux morts par suite d’un éboulement, les rues sont bloquées par des alluvions et le service de voirie ne sait plus où donner de la tête. On tente de ramasser des immondices emportées en aval au bas de la ville et dans nos rues. Mais le problème est en amont. Les alluvions qui dévalent des flancs de nos mornes n’auront de cesse de descendre vers nos rues tant que nous continuerons de construire de façon anarchique sur leurs pentes abruptes, tant que nous continuerons à couper les arbres qui pourraient retenir les eaux de pluie et les empêcher d’emporter les couches de terres arables, les fatras et même des gros blocs de roche. On ne suffit pas à la tâche de ramassage des ordures dans nos municipalités, et on continue à s’attaquer au problème par le mauvais bout : en aval plutôt qu’en amont.
  • La semaine dernière, le sénateur Youri Latortue a voulu informer la population capoise des éléments du dossier PetroCaribe mais certaines personnes n’ont pas semblé apprécier cette initiative. Malgré la présence de la police pour sécuriser les lieux, on est quand même parvenu à lancer des cannettes de gaz dans une salle bondée de personnes venues s’informer du dossier. Bilan : un mort, un animateur de l’orchestre Tropicana, rapporte-t-on. Pour le sénateur Latortue, il s’agirait d’un attentat criminel, organisé, entre autres, par des bénéficiaires du fonds PetroCaribe, déterminés à enterrer le rapport du Sénat sur leurs forfaits.
  • Toujours la semaine dernière, à Thiotte, un détachement de quatorze policiers est allé prêter main forte à un grand propriétaire terrien, M. Bleck, venu faire exécuter un jugement de déguerpissement sur ses terres. Bilan: un jeune a été blessé par balles et transporté à l’hôpital pour recevoir les soins que nécessite son état; et les policiers ont dû prendre leurs jambes à leur cou en abandonnant sur les lieux, armes et véhicules devant une population en colère. Ils n’auraient eu la vie sauve, semble-t-il, que grâce à l’intervention opportune et bien avisée de certains notables de la ville qui auraient calmé la fureur de la foule qui a néanmoins incendié les véhicules et aurait ramassé les armes des policiers mis en déroute.
  • Encore la semaine dernière, quelques avions ont été bloqués sur le tarmac de l’aéroport du Cap-Haïtien, récemment célébré en grande pompe comme aéroport de desserte tout indiqué pour les touristes qui iront s’extasier sur les vestiges de notre Citadelle et pour nos citoyens en diaspora qui doivent effectuer un pèlerinage vers ce haut lieu historique. Il y aurait eu un affaissement de terrain sur la piste et les pilotes ne pouvaient pas prendre le risque de faire décoller leurs avions. Il me semblait pourtant que la Caravane du Changement était déjà passée dans ce département, avec tambours, trompettes et toute la fanfare. Cette situation qui allait survenir sans crier gare a dû certainement échapper à la sagacité et à la vigilance des opérateurs de cette activité gouvernementale.

La liste de ces clignotants est longue et je ne voudrais pas abuser de la patience des lectrices et des lecteurs, en les enfilant de façon exhaustive. Il convient néanmoins de regarder comment le gouvernement a réagi à ces situations pour bien les gérer. Ceci sera, pour nous, un indicateur de sa capacité à administrer le pays, au moins sur un mode réactif, à défaut d’avoir anticipé ces évènements et de les avoir évités en agissant plutôt sur un mode proactif.

Dans le premier cas, pour le gouvernement, c’est «business as usual». Rien de très grave. On a constaté les dégâts et déploré la situation, sans plus. À la rigueur, on pensera peut-être à s’approprier les fonds de l’ONA pour dédommager les victimes. Ce ne serait pas la première fois que l’État ferait une mauvaise utilisation de ce fonds auquel contribuent nos travailleurs. En la circonstance, une autorité locale aurait réclamé, des autorités centrales, l’encadrement nécessaire pour inspecter les maisons déjà construites dans des espaces qui devraient être interdits à la construction, et s’estime incapable, dans l’état actuel des choses, de mettre en force des exigences techniques pour une construction résidentielle conforme aux standards établis. Bref, pour lui, l’État est dépassé par la situation. Il est à noter qu’il s’agit bien d’une autorité locale qui confessait ainsi son incapacité. Si une telle situation survient alors qu’on n’a pas encore entamé officiellement la saison des pluies, qu’en sera-t-il quand viendra la période cyclonique ?

Dans le deuxième cas, il est heureux que le sénateur ait pu échapper à de graves dangers pour sa sécurité physique et à un risque élevé pour sa santé. On a bien vu ce qui était arrivé à son ex-collègue, Jean-Charles Moïse qui a dû se faire traiter à Cuba, après quelques inhalations de ces gaz lacrymogènes dont nos policiers sont très généreux, lorsqu’il s’agit de casser une manifestation antigouvernementale. Là aussi, il y eu mort d’homme, un décès qui ne serait certainement pas survenu si l’activité n’avait pas été interrompue de façon impromptue par des gens hostiles à la tenue de cet évènement. En passant, a-t-on idée de la provenance de ces cannettes de gaz? Après tout, elles ne sont pas en vente libre dans les boutiques et au marché public. Et seule la police devrait normalement en avoir la détention et l’utilisation exclusive… Le sénateur Latortue semble être assez informé sur la question et identifie déjà des pistes nominatives au niveau des exécutants de cette basse œuvre. C’est un dossier à suivre…

Dans le troisième cas, on est chanceux de ne pas avoir à déplorer aucun décès. Toutefois, un adolescent aura quand même été blessé par balles et aura dû être transporté à l’hôpital pour être soigné. De justesse on a pu éviter un bain de sang et un vrai carnage car, d’un côté on avait quatorze policiers armés et de l’autre, une population en furie pour avoir vu un de ses enfants tombé sous les balles de la police. On s’imagine facilement ce qui aurait pu survenir si ces policiers avaient décidé de persister dans l’utilisation de leurs armes, et si la population avait poursuivi sa vengeance devant l’agression perpétrée contre l’adolescent.

Dans le dernier cas, il ne s’agit pas d’un fait isolé et anodin. Il s’agit de la sécurité du transport aérien de personnes. C’est en effet le nerf vital pour la dynamisation du secteur touristique dans le grand nord. En outre, cette même situation est notable à Port-au-Prince également, le principal sinon le seul lien aérien d’Haïti avec le reste du monde. Il ne faudrait pas se surprendre que cet état de délabrement de nos aéroports ait des conséquences importantes pour le pays en général, si ce n’est pas corrigé rapidement par les autorités locales. L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ne badine pas avec la sécurité aérienne.

Dans tous les cas ci-haut mentionnés, on ne peut que conclure à un effondrement des institutions de l’État, responsables du bon fonctionnement des secteurs confiés à leurs juridictions et à leur compétence. Le ministre de l’Environnement et son collègue du ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales auraient dû être interpellés pour au moins s’expliquer sur ces situations et sur les moyens entrepris pour prévenir leur récurrence. Mais cela n’a pas eu lieu. En tout cas, je ne l’ai pas noté. Cela signifie pour moi et pour le commun des mortels que nous sommes, que l’État est indifférent à ces formes d’insécurité dans laquelle vit une bonne partie de la population. Le décès d’un citoyen habitant nos bidonvilles n’a sans doute pas la même importance pour lui que celui d’un membre de nos élites. Qu’on se rappelle le cas du sénateur effondré en pleine séance et qui a été rapidement évacué aux États-Unis pour les soins que requiert son cas mais qui ne seraient hélas pas disponibles au pays.

Je vais peut-être un peu vite en besogne car on ne peut pas dire que le sénateur Latortue ne soit pas un éminent homme d’État. Mais tout sénateur qu’il soit, tout ex-président du Sénat qu’il soit, quelqu’un n’a pas hésité à mettre sa vie en danger en faisant exploser des bombes lacrymogènes dans un espace fermé où s’était entassée une foule nombreuse de personnes moins importantes sans doute. Que je sache, les cannettes de gaz lacrymogènes ne tombent de nos cocotiers. Il s’agit de produits réservés aux autorités du pays et généralement à usage restreint par les forces de l’ordre.

De tous ces cas de figure, il ressort de plus en plus que les ministères de l’Environnement, de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, du Tourisme, des Travaux publics et du Transport perdent le contrôle des opérations sous leurs juridictions. Il en est de même pour la Direction Générale de la Police Nationale. S’agirait-il d’une entreprise délibérée pour saper l’autorité du directeur général actuel que cela ne m’étonnerait pas. À Martissant, lors de l’équipée qui s’était soldée de plusieurs morts, le directeur général de la police n’était pas au courant de cette opération musclée. À Thiotte, toutes les autorités civiles et policières du département avouent leur ignorance préalable de l’intervention musclée de quatorze policiers en armes, en provenance directe de la capitale. Pourtant, ce sont les autorités du Sud-Est qui sont allées au front pour pallier la bavure et calmer les esprits. Là encore, aurait-on voulu diminuer l’autorité du directeur général de la police qu’on ne s’y prendrait pas mieux. On ne semble pas retenir les leçons liées aux circonstances entourant le discrédit et ensuite la démobilisation des FAD’H aujourd’hui ressuscitées dans les mêmes conditions et avec le même état d’esprit qui avaient culminé à leur chute.

La menace que fait planer l’état des pistes des aéroports Toussaint Louverture et du Cap-Haïtien sur la sécurité du transport aérien est un sujet majeur de préoccupation pour le commerce, le tourisme et la liaison aérienne d’Haïti avec le reste du monde. La négligence des autorités à cet égard entraîne un risque sérieux d’éliminer le pays des vols de grands transporteurs aériens. Ce serait un coup fatal pour les ambitions de réanimation du secteur touristique, si pour aller visiter le pays, le touriste se trouvait brusquement obligé d’atterrir en Dominicanie pour ensuite se taper une liaison terrestre par autobus pour se rendre en Haïti.

Et dire que l’on n’a de cesse de nous chanter, sur toutes les gammes, les prouesses de la Caravane du Changement qui aurait opéré des miracles, partout sur son passage, selon les dires du président Jovenel Moïse !

Pierre-Michel Augustin

le 29 avril 2018

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