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Une oasis dans notre désert politique…

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J’ai bien essayé de scruter l’horizon de l’actualité au pays pour tenter de découvrir quelques brins d’espoir, des lueurs qui annoncent un peu de renouveau, mais tout cela fut vain. J’ai beau sasser et ressasser les manchettes et les entrefilets, mais rien ne semble annoncer un peu d’éclaircie sur notre grisaille sociale, politique et économique. Les chapelets de nouvelles moroses se déclinent interminablement.

D’abord, il y a bien eu le voyage de notre Président de la République, parti au Pérou « pour exprimer la voix d’Haïti au Sommet des Amériques », disait-il. On y discutait, notamment, de la question de la corruption. Quelle idée ! Bien entendu, nous ne sommes pas concernés du tout par cette gangrène internationale qui afflige presque tous les pays de l’Amérique et du reste du monde, mais pas nous. Oh que non ! Les mauvaises langues parlent bien de la soi-disant affaire PetroCaribe comme un cas flagrant de corruption. Mais il n’en serait rien, s’il faut en croire le Président Jovenel Moïse qui y voit surtout un dénigrement malhonnête, un lynchage politique, dirigé contre des honnêtes citoyens qui se sont sacrifiés pour gérer consciencieusement les affaires du pays. Et foi de Jovenel Moïse, il le clame bien haut, sur toutes tribunes, jusqu’en France : pendant son mandat, il ne sera pas question d’organiser de chasse aux sorcières. Une chance qu’il eût pressenti le coup et qu’il se soit organisé pour placer son monde à tous les niveaux de la machine administrative pour bloquer ses détracteurs, s’enorgueillissait-il alors. À défaut de pouvoir témoigner de son action diligente dans sa lutte de tous les instants contre la corruption, il a pu quand même répéter son serment de la combattre tous azimuts. J’imagine que ses pairs ont dû sourire un peu dans leur barbe. Ils sont pour la plupart des vieux routiers de la politique, et ce n’est pas un bleu qui leur apprendra à faire la grimace, n’est-ce pas ? De leur côté, ils avaient d’autres sujets à discuter avec notre Président. Le Président Chilien était plutôt pressé de lui expliquer que malgré la générosité de son pays envers nos citoyens, il leur faudra détenir un visa, dès le lundi 16 avril 2018, pour entrer sur le territoire du Chili. En passant, le Brésil avait anticipé cette mesure qu’il a mise en application tout récemment encore, et les autorités du pays de Lula avaient hâte de l’expliquer également au Président haïtien et sa suite. Il en été probablement de même pour le Vice-Président américain, M. Mike Pence, flanqué de la fille du Président américain, Mme Ivanka Trump, et qui a profité de la présence de M. Moïse pour lui vanter l’hospitalité américaine, tout en lui en expliquant les règles strictes qui s’y appliquent. Le Premier Ministre du Canada, M. Justin Trudeau aurait partagé quelques préoccupations avec lui, sur les mêmes sujets. Pour une fois, notre Président a dû avoir hâte de se retirer de ce guêpier où tout le monde semblait fredonner la même rengaine et se passait le mot pour lui faire sérénade.

Ensuite, il y a notre Premier Ministre et ses dénégations quant à la recrudescence des actes criminels. Pourtant, pour presque tout le monde, il paraît clairement qu’il y a au moins lieu de s’en inquiéter. Même nos parlementaires s’en préoccupent, en tout cas, assez pour sentir la nécessité de convoquer le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, avec à sa tête, le Premier Ministre Lafontant, pour venir leur expliquer la situation et surtout, les informer quant aux actions qu’il compte entreprendre pour la maîtriser. Après tout, pendant toute une fin de semaine, les armes avaient chanté à tue-tête dans les quartiers de Cité de l’Éternel, de Martissant et de Bolosse, rendant périlleux l’accès à Port-au-Prince à toutes nos concitoyennes et à tous nos concitoyens qui vivent au sud de ces quartiers de la capitale. Cela inclut les résidents du reste du département de l’Ouest, de tous les départements du Sud-Est, du Sud, des Nippes et de la Grand-Anse qui doivent impérativement passer par cette unique voie terrestre pour rentrer à la Capitale ou pour accéder à tout le reste du pays, en allant vers l’ouest et vers le nord. Cela commence à faire beaucoup de monde, n’est-ce pas ? Des gangs armés ont contrôlé ce goulot d’étranglement que constitue la route nationale au niveau de Martissant. Mais le Premier Ministre Lafontant n’y voit pas de problème. Il n’y a aucun problème. Il s’agirait d’une situation isolée, parfaitement prise en charge par la Police Nationale d’Haïti. Et ce n’est pas le Parlement qui va le contredire, ni non plus son cabinet ministériel, bien qu’un de ses membres, le ministre de l’Éducation, M. Josué Agénor Cadet, vienne de perdre une sœur, criblée de balles assassines, tirées par un criminel circulant à motocyclette. Je cherche encore les condoléances de l’État au ministre de l’Éducation, à ce membre important du Gouvernement, mais je ne l’ai pas encore trouvé. Singulière solidarité ministérielle, n’est-ce pas ? De toute façon, quand vient le temps de marquer sa solidarité, même symbolique, avec nos concitoyennes et concitoyens aux prises avec des injures internationales (shithole country dixit Trump, pogrom dominicain contre nos compatriotes) avec des malheurs personnels, avec des attaques de brigands contre leur personne ou contre leurs biens, le gouvernement est rarement loquace et proactif. Il lui a pris près d’un mois avant de s’exprimer sur le dossier de la disparition du photojournaliste Vladjimir Legagneur à Grand-Ravine. On attend encore une déclaration concernant la fuite éperdue vers la ville d’Anse-à-Pitres de nos compatriotes vivant en République Dominicaine. Le local du Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH) est arrosé de balles et on se permet même de laisser une lettre de menace de mort à l’attention de son directeur exécutif, M. Pierre Espérance. Cela n’a encore suscité même pas un twitt de la part d’aucune instance du gouvernement. Business as usual. Tout est calme dans la Cité, d’après le gouvernement.

Autre manchette plus ou moins douteuse : le Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti, M. Jean Baden Dubois, ne trouve pas inquiétant du tout le niveau du déficit budgétaire qu’il s’est fait un devoir d’éponger, bien sûr, à la demande du gouvernement. Alors là, c’est vraiment le comble. Il est vrai qu’il ne sera pas tenu d’écoper pour les manques à gagner du gouvernement et les dépenses douteuses que celui-ci aurait effectuées, mais, tout de même, on devrait s’attendre à un peu plus de retenue, un peu plus de rigueur de la part des plus hautes autorités bancaires du pays, lorsqu’elles donnent leur avis sur la situation financière de l’État. Lorsqu’en six mois, selon les experts, on accumule 14 milliards de gourdes ou presque, sur un total acceptable d’environ 16 milliards, on devrait être préoccupé par la tendance et par les perspectives de correction de la situation qui ne peuvent qu’être difficiles pour le gouvernement qui les appliquera et surtout pour la population qui en pâtira.

Les rumeurs d’un remaniement du cabinet ministériel s’enflent un peu. Et ce n’est pas trop tôt. À part d’être un peu gauche dans la gestion de sa communication publique, le Premier Ministre n’a jamais semblé maîtriser ses dossiers. Le Président semble être obligé de tirer à hue et à dia, s’éparpille et s’époumone à faire des promesses qui reviennent le hanter au détour, parce que non tenues encore. Bien pire, à vouloir aussi s’occuper de l’intendance du pays, il court-circuite lui-même son propre fusible politique : son Premier Ministre. Alors, si Jovenel Moïse veut terminer son mandat à l’abri des récriminations publiques, il a avantage à se trouver un autre Premier Ministre, à sa main peut-être, mais qui donne l’impression de gérer effectivement le pays, car c’est une des attributions de sa fonction.

Il ne faudrait pas oublier cette note du Haut Commandement des Forces Armées d’Haïti remobilisées qui a pris presque tout le monde par surprise. Elle laisse entendre que, selon les Règlements Généraux de cette institution, nos anciens militaires, tous autant qu’ils sont, feraient partie de la réserve militaire. On appréhende déjà le moment où nos vaillants soldats des années 70-80, aujourd’hui, sexagénaires ou septuagénaires pour la plupart, seront rappelés sous les drapeaux pour défendre la patrie. Quelle galère! Nous revoilà partis pour une autre aventure.

Cependant, un entrefilet retient favorablement mon attention. À travers l’amoncellement de nouvelles tristes et désolantes, il en est une qui brille comme un petit diamant égaré dans les immondices. Le maire de la petite ville d’Anse-à-Pitres, M. Harry Brunot, vient de donner une leçon de verticalité au gouvernement tout entier. Il vient de remettre à sa place son homologue dominicain, le maire de la ville de Pedernales, Luis Manuel Feliz Matos, qui avait fermé, d’autorité, le marché dit binational de Pedernales. Ce geste était alors en représailles à l’assassinat tout à fait condamnable d’un couple dominicain, présumément par des bandits haïtiens. Signalons au passage que, n’était-ce la protection de l’armée et de la police dominicaines qui les avaient accompagnés pour leur faire repasser la frontière, des extrémistes dominicains auraient massacré plusieurs de nos compatriotes en République Dominicaine, dans cette région. Les commandants dominicains de la zone auraient cependant exigé l’extradition des ressortissants haïtiens accusés de l’assassinat du couple dominicain. Mais rien n’y fit. Et après quelques jours de fermeture du marché frontalier, ne voilà-t-il pas que toute la pacotille dominicaine traîne encore sur les étals du marché déserté par la clientèle haïtienne. Brusquement, les vendeurs dominicains se surprennent à comprendre l’utilité et l’importance de la clientèle haïtienne exécrée, pour la survie même de leur commerce et de l’économie locale. Baton an chanje bout. C’est maintenant le maire Matos qui exige, demande et prie pour la tenue d’un dialogue entre les autorités municipales voisines, pour régler le problème et rouvrir le marché dit binational. Mais le maire Harry Brunot y met ses conditions et boycotte une première réunion. Il exige pour le retour des Haïtiens :

  1. la garantie de sécurité pour ses compatriotes qui éliraient de retourner à leur résidence habituelle en République Dominicaine;
  2. la garantie pour ses compatriotes maraîchers de pouvoir écouler leurs productions sur le marché binational et pas seulement de revendre des articles « pèpè » achetés de grossistes dominicains;
  3. et finalement, la remise à ses compatriotes pêcheurs, des embarcations qui avaient été illégalement confisquées par des autorités et par des civils dominicains.

Je suis d’autant bien impressionné par cette démonstration du maire Harry Brunot que nous ne sommes pas habitués à de tels positionnements publics de la part de nos autorités. À défaut du pouvoir central qui, normalement, devrait s’occuper de ce dossier, au niveau local, un élu a pris sur lui de défendre ses compatriotes, non pas par une quelconque bravade militariste, mais juste en prenant une posture de bon droit et d’exiger le respect tout court. Les conditions dont il réclame la satisfaction relèvent en effet du strict bon sens. Si tu veux que j’achète ton produit, il importe que je puisse te vendre le mien. Il s’agit d’une juste réciprocité dans les échanges. Si tu veux commercer avec moi, il importe que tu me manifestes un respect, en tant que partenaire de commerce. Tu n’es pas obligé de me vendre, tout comme je ne suis pas obligé d’acheter tes bricoles. Je peux facilement les trouver ailleurs dans le vaste monde, et pas nécessairement à un prix plus élevé, ni à moindre qualité. Au contraire. Dans un monde interdépendant, il importe d’imposer à l’autre, les limites à ne pas franchir et les paramètres que l’on doit respecter réciproquement, si l’on veut continuer à se fréquenter et à maintenir des relations respectueuses sinon harmonieuses entre les deux États. Le gouvernement devrait s’inspirer de cette leçon de courage politique et de détermination dans la défense des intérêts du pays, dans les relations avec la République Dominicaine.

Une hirondelle ne fait pas le printemps, il est vrai. Mais, dans le désert politique que nous traversons actuellement, chaque oasis compte. Et celle-ci met un petit baume sur nos déceptions quotidiennes. Je veux saluer bien bas le geste et la stature de personnage d’État de M. Harry Brunot, Maire de la ville d’Anse-à-Pitres, en Haïti.

Pierre-Michel Augustin

le 17 avril 2018.

 

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